Par Arnaud de Nanteuil, Professeur à l’Université Paris Est Créteil

Quelle est la teneur de la mesure annoncée par la Chine ?

Avec les terres rares, qui sont indispensables à la plupart des technologies utilisées aujourd’hui – et notamment dans le domaine militaire –, le gouvernement Chinois sait qu’il dispose d’un moyen de pression considérable sur le reste du monde, à commencer par son premier adversaire économique : les États-Unis. Il en use largement et ce n’est sans doute pas un hasard s’il l’a fait alors qu’approche le prochain sommet de la Coopération Asie Pacifique (APEC) à l’occasion duquel les présidents chinois et américain devraient se rencontrer. Il s’agit donc, pour le président chinois, d’une manière de préparer le terrain et d’arriver en position de force face à son homologue américain compte tenu du fait qu’en matière de de terres rares, le monde entier – États-Unis compris – est très fortement dépendant de la Chine.

Sur le fond toutefois la mesure chinoise annoncée le 9 octobre 2025 diffère des précédentes en ce qu’elle introduit une dose d’extraterritorialité, dont les États-Unis étaient ironiquement devenus les héraults depuis quelques années. Ce n’est certes pas la première fois que la Chine a recours à ce procédé, mais un pas semble ici franchi en intensité. Le principe de la mesure est simple (même si les modalités en sont plus complexes) : elle soumet à autorisation toute exportation d’un article produit à partir de terres rares chinoises, que cet article ait été fabriqué en Chine ou ailleurs dans le monde : en ce sens, une entreprise qui utilise même une infime portion de terre rare d’origine chinoise (ou même raffinée en Chine puisque la Chine concentre 90% de l’activité de raffinage de ces minerais à l’échelle mondiale) ne pourra exporter sa production sans une autorisation du gouvernement chinois. L’une des raisons officielles avancées tient à ce que certains acteurs auraient employé des minerais chinois dans l’industrie militaire, ce qui constitue une menace pour la sécurité chinoise et pour la stabilité et la paix mondiale.

Quelle a été la réaction des États-Unis ?

Immédiatement après l’annonce de la Chine, le président Trump a brandi son arme favorite : celle des droits de douane, indiquant une instauration de taxes à 100% sur les produits chinois. Cette annonce a provoqué une panique boursière, rapidement atténuée par une volte-face de la Maison Blanche indiquant qu’une telle surtaxe douanière ne serait finalement pas viable, ou en tout cas qu’elle n’avait pas vocation à durer. Cette réaction n’est pas seulement le signe de l’instabilité maladive du président Trump : elle révèle aussi une forme de fébrilité, et le fait que la Chine est en train, progressivement, de gagner son pari. De fait, les États-Unis ne peuvent se permettre de perdre l’accès aux terres rares et la Chine semble avoir ici trouvé le point faible de l’hyperpuissance américaine.

La question qui se pose aujourd’hui est celle de savoir si les États-Unis persisteront ou non dans cette velléité d’augmentation des droits de douane. La Chine les accuse de céder à la panique en défendant la vertu de cette mesure destinée éviter l’emploi de terres rares à des fins militaires : la porte-parole du ministère chinois du commerce a ainsi indiqué que l’autorisation serait accordée systématiquement dès lors que la preuve d’un usage pacifique serait apportée. Il n’est pas évident de savoir s’il s’agit ici d’un affichage pour donner à la mesure une apparence de justification ou d’un réel effort de lutte contre la densification du réarmement dans une période de grande tension géopolitique. L’observation montre toutefois que le pacifisme chinois est essentiellement un affichage, portant assez peu de crédit à la justification apportée.

Quelles peuvent être les conséquences à long terme de cette situation ?

Il est extrêmement difficile de prédire la manière dont l’affrontement commercial grandissant pourra se terminer, et au détriment de qui. Sans doute ne saurait-on mieux décrire la situation que ne le fait ce proverbe africain cité par un analyste suivant lequel « lorsque deux éléphants se battent, l’herbe en souffre ». Car les conséquences, assurément, ne seront pas limitées à la Chine ou aux États-Unis : le niveau d’interdépendance des économies nationales est tel que c’est bien le monde dans son ensemble qui risque d’en souffrir, et l’Europe n’a aucune raison d’être épargnée. En dépit de l’annonce d’un vaste plan d’exploitation minières des terres rares sur le continent, la situation à court terme demeure celle d’une très étroite dépendance à la Chine. Quand bien même ce plan serait intégralement exécuté, il ne pourra produire des résultats que dans un certain temps, et ne suffira pas à placer l’Europe dans une situation d’autarcie.

Mais il faut aussi penser au-delà du commerce. En affichant une volonté de contrôler les exportations de terres rares pour prévenir leur usage dans l’industrie militaire, la Chine affiche certes un pacifisme de façade mais elle dispose surtout d’un levier de puissance considérable : si elle devait empêcher les transactions impliquant des biens à usage militaire, elle pourrait venir réduire la puissance armée des pays occidentaux. Cela pourrait être une manière de donner un coup de pouce à la Russie dans la guerre en Ukraine, les deux pays affichant depuis toujours une très étroite proximité. Mais cela peut être aussi une manière de préparer la suite : en affichant une puissance militaire colossale et en empêchant les autres armées de se développer, Pékin envoie un message clair au reste du monde : en cas de tentative de reprendre Taiwan par la force, notamment, les pays occidentaux n’auraient sans doute plus les moyens de s’y opposer.