Par Benjamin Fiorini, Maître de conférences en droit privé et sciences criminelles à l’Université de Paris 8 Vincennes et spécialiste de droit pénal comparé France/ Etats-Unis. 

Pour quelles infractions P. Diddy était-il poursuivi ?

Pendant sept semaines d’un procès très médiatisé, P. Diddy a dû faire face à cinq chefs d’accusation. Deux d’entre eux étaient en lien avec le transport de personnes d’un État à un autre aux fins de prostitution (transportation to engage in prostitution). Les faits visés concernaient la chanteuse Cassie et une autre plaignante ayant témoigné sous le pseudonyme de « Jane ». Cette infraction prévue par le Mann Act de 1910 (également appelé White-Slave Traffic Act) expose son auteur à une peine maximale de dix ans d’emprisonnement (18 U.S. Code § 2421).

Deux autres chefs d’accusation concernaient des faits de trafic sexuel (sex trafficking) commis sur les mêmes plaignantes. Cette infraction consiste soit à inciter un mineur à se livrer à des actes de commerce sexuel, soit à obliger une personne adulte à se livrer à des actes similaires en utilisant la violence, la menace, la surprise ou la contrainte (« force, threat of force, fraud or coercion »). La différence fondamentale avec l’infraction de transport aux fins de prostitution réside dans l’absence de libre consentement de la victime aux actes sexuels. Chaque infraction de trafic sexuel exposait P. Diddy à une peine comprise entre quinze ans d’emprisonnement et la réclusion criminelle à perpétuité (18 U.S. Code § 1591).

Le dernier chef d’accusation visait l’infraction de rackettering conspiracy – expression souvent traduite improprement en France par le mot « extorsion », mais qui se rapproche davantage de l’association de malfaiteurs. Cette infraction prévue par le Racketeer Influenced and Corrupt Organizations Act (RICO) suppose la réunion de deux éléments : (1) un accord entre deux ou plusieurs personnes pour s’engager dans des activités criminelles ; (2) la commission par les membres de la bande d’au moins deux infractions listées par la loi, parmi lesquelles on retrouve notamment le trafic sexuel, le travail forcé, l’enlèvement et la corruption – autant de faits que les procureurs estimaient être en mesure de démontrer lors du procès. Le rackettering conspiracy exposait P. Diddy à une peine de réclusion criminelle à perpétuité (18 U.S. Code § 1963).

Quel a été le verdict du jury et comment l’analyser ?

Aux termes d’un délibéré de trois jours, les douze jurés ont décidé, à l’unanimité, de condamner P. Diddy pour les deux chefs d’accusation relatifs au transport de personnes aux fins de prostitution. En revanche, ils ont choisi de l’acquitter concernant les faits de trafic sexuel et de rackettering conspiracy.

Ce verdict semble parfaitement logique concernant les faits de transport aux fins de prostitution, ceux-ci étant clairement établis. L’existence de ces transports, tout comme la connaissance par P. Diddy de leur raison d’être – participation à des orgies sexuelles appelées « Freak Offs » – ne pouvait que difficilement être contestée au regard des nombreuses preuves apportées par l’accusation.

En revanche, l’acquittement concernant les trois autres chefs d’accusation apparaît plus surprenant et suscite aux États-Unis de nombreuses polémiques. Après avoir entendu les débats, le jury a estimé qu’il y avait un « doute raisonnable » (reasonnable doubt) quant à l’existence d’une contrainte physique et/ou psychologique permettant de caractériser l’infraction de trafic sexuel, le poussant à écarter cette accusation, ainsi que celle de rackettering conspiracy qui reposait essentiellement sur l’existence d’un tel trafic.

Cet acquittement partiel, qui constitue une victoire incontestable pour P. Diddy, s’explique vraisemblablement par la stratégie gagnante de ses avocats, en particulier sur deux points.

Tout d’abord, le refus de P. Diddy de témoigner, permis par le 5e Amendement à la Constitution américaine qui garantit à l’accusé le droit de ne pas s’auto-incriminer. Ce choix, assez fréquent dans les prétoires américains et qui a pour effet concret de rendre l’accusé spectateur de son propre procès, a évité à P. Diddy de subir le feu des questions de l’accusation, d’être confronté à ses propres contradictions et donc de préserver au maximum sa crédibilité.

Ensuite, la défense a fait le choix de n’appeler aucun témoin à décharge, se contentant de procéder au contre-interrogatoire (cross-examination) des trente-quatre témoins présentés par l’accusation. Ce faisant, elle est parvenue à semer le doute dans l’esprit des jurés quant à l’existence réelle d’une contrainte physique et psychologique sur les deux plaignantes, par exemple en confrontant Cassie à un SMS de 2009 dans lequel elle indique être « toujours partante » pour participer aux Freak Offs (« I’m always ready to freak off »), ou encore en faisant admettre aux deux femmes que leur relation avec P. Diddy impliquait de l’amour. Même si Cassie et « Jane » ont ajouté qu’elles étaient dans le même temps soumises à des menaces liées à leur réputation, à leur situation financière et à leur intégrité physique, cela n’a pas suffi aux jurés pour écarter l’existence d’un « doute raisonnable ».

Un tel verdict, qui peut être analysé comme un recul pour la cause féministe et une défaite pour le mouvement #MeToo, renvoie à une question bien connue en France :  celle du libre consentement en matière sexuelle et de la difficulté à caractériser sa violation sur le terrain judiciaire, tout particulièrement au sein du couple où peuvent intervenir des phénomènes d’emprise ou de contrôle coercitif.

A quelle peine P. Diddy sera-t-il condamné ? Peut-il faire appel ?

Acquitté des chefs de trafic sexuel et de rackettering conspiracy, P. Diddy a échappé aux accusations les plus graves qui l’exposaient à la prison à vie. Néanmoins, en raison de sa double condamnation pour transport de personnes aux fins de prostitution, il encourt une peine maximum de vingt ans de réclusion criminelle – dix ans pour chaque condamnation, puisqu’aux États-Unis, contrairement à la France dans le même cas de figure, les peines se cumulent.

Toutefois, il s’agit là de la peine encourue, et il est probable que la peine prononcée soit bien moindre. Se référant aux sentencing guidelines établis au niveau fédéral (lignes directrices indicatives permettant aux juges de déterminer la peine en fonction de critères tenant à la gravité de l’infraction, à la personnalité de l’accusé et à ses antécédents judiciaires), les procureurs ont estimé que la peine prononcée devrait être comprise entre en 51 et 63 mois (environ quatre ou cinq ans), tandis que la défense a fourni une estimation se situant entre 21 et 27 mois (environ deux ans), étant précisé qu’il faudra par ailleurs soustraire les dix mois déjà passés par P. Diddy en détention provisoire. C’est le juge Arun Subramanian qui prononcera cette peine le 3 octobre prochain.

Au regard de cette peine prévisible finalement très modérée par rapport aux accusation initiales, il est peu probable que P. Diddy fasse appel du verdict rendu par les jurés. Il faut d’ailleurs souligner que contrairement à la France, les États-Unis ne permettent pas à l’accusé de faire directement appel sur le fond afin que l’affaire soit rejugée par un autre jury. Seul un appel sur la forme est envisageable dans l’hypothèse où certaines règles du procès n’auraient pas été respectées, pouvant entraîner l’annulation du verdict et, éventuellement, la tenue d’un nouveau procès.