Par Alexandre Guigue, Professeur de droit public, Centre de recherche en droit Antoine Favre, Université Savoie Mont Blanc

Quels délais encadrent la discussion des PLF ?

La loi de finances (LF) et la loi de finances de la Sécurité sociale (LFSS) sont des lois particulières. Une partie de leur régime juridique suit celui des lois ordinaires, mais des règles spécifiques les en distinguent assez nettement. En effet, les lois ordinaires sont organisées par l’article 45 de la Constitution et par les règlements des assemblées ; les LF par l’article 47 de la Constitution, la loi organique relative aux lois de finances de 2001 et par les règlements des assemblées, et les LFSS par l’article 47-1 de la Constitution, la loi organique relative aux lois de financements de la Sécurité sociale et les règlements des assemblées. La première originalité qui touche les lois de finances est l’enfermement de leur procédure d’adoption dans un délai impératif, 70 jours pour les LF et 50 jours pour les LFSS. Il existe, toutefois, une différence significative entre les deux : si le Parlement ne se prononce pas sur le PLF dans un délai de 70 jours, le gouvernement peut mettre en œuvre le projet par ordonnance (la version qu’il souhaite, y compris celle initialement déposée), alors qu’une telle sanction n’existe pas pour le PLFSS. C’est la raison pour laquelle, fin 2024, le gouvernement avait pris le risque d’inclure une disposition relevant des LFSS dans le projet de loi de finances spéciale qui a permis d’assurer la continuité de la vie nationale en janvier 2025.

Entre le premier mardi d’octobre (7 octobre en 2025) et le 31 décembre, il y a plus de 70 jours, mais il y a bien moins que 120 jours (70 jours pour le PLF et 50 jours pour le PLFSS). En réalité, le temps de discussion est organisé pour permettre aux parlementaires de disposer d’un maximum de 70 jours calendaires pour le PLF et d’un maximum 50 jours calendaires pour le PLFSS. D’abord, il faut préciser que le point de computation du délai de 70 jours n’est pas le jour du dépôt, mais un jour déterminé en vertu d’un accord entre le gouvernement et l’Assemblée nationale. En cas de dépôt très tardif, ce qui fut le cas en 2024 et en 2025 (le 14 octobre), il est nécessaire de commencer à faire courir le délai le plus rapidement possible. Quant au non-respect de la date butoir pour le dépôt, justement, le gouvernement s’appuie sur une jurisprudence clémente du Conseil constitutionnel (décision n° 82-154 DC du 29 décembre 1982). L’attention se porte de plus en plus sur l’impératif du terme que sur celui du dépôt. Ce qui importe est que les 70 jours s’achèvent suffisamment tôt pour permettre au Conseil de se prononcer en cas de saisine et au Président de la République de promulguer le texte avant le 31 décembre. Autrement dit, tant que le Parlement peut disposer, en principe, de 70 jours calendaires, on considère que le dépôt s’est fait « en temps utile » et, donc, que le Conseil constitutionnel ne trouverait rien à redire.

Après le dépôt, de nouveaux délais commencent à courir. L’Assemblée nationale dispose de 40 jours pour se prononcer sur le PLF au risque d’un dessaisissement au profit du Sénat qui disposerait, dans ce cas, de 15 jours seulement, au lieu de 20 jours en temps normal. Naturellement, lorsque l’Assemblée nationale se prononce sur le PLF, que ce soit positivement ou négativement, le texte est transmis au Sénat, généralement bien avant l’épuisement des 40 jours. Dans la période actuelle, c’est encore plus vrai, puisque le rejet de la première partie du PLF vaut rejet de l’ensemble (l’art. 42 LOLF interdit la mise en discussion de la deuxième partie avant le vote définitif de la première, cf. invalidation de la LF 1980 pour ce motif, décision n° 79-110 DC du 24 décembre 1979). Il reste alors 10 jours pour le travail éventuel de la commission mixte paritaire avant l’adoption définitive.

Comment s’organise la discussion des articles du projet de loi de finances ?

Si la révision de 2008 a réduit la maîtrise du gouvernement de l’ordre du jour, l’examen des lois de finances reste prioritaire. En vue du débat à l’Assemblée nationale, le gouvernement propose un ordre de la discussion, mais c’est la conférence des présidents qui le décide (art. 49 RAN). Si les deux peuvent s’opposer, ils trouvent généralement à s’accorder. Au Sénat, l’ordre de discussion est également arrêté par la conférence des présidents, mais sur proposition de la commission des finances (art. 47 bis-1 RS). Après l’examen en commission, la discussion s’ouvre en séance publique sur le projet initial déposé par le gouvernement (art. 42 C). Les deux parties du texte doivent être discutées successivement et séparément. Lors de la discussion de la première partie, seuls les amendements sont discutés concernant l’article liminaire qui fixe la trajectoire financière du pays (depuis la loi organique du 17 décembre 2012) en raison de son caractère seulement informatif. Une autre spécificité tient à l’examen particulier dont fait l’objet l’article qui prévoit les prélèvements sur recettes au profit de l’Union européenne. La discussion des articles est, ensuite, chronologique, suivant les règles ordinaires jusqu’au vote de l’article d’équilibre qui clôt la première partie et qui arrête les grandes masses de recettes et de dépenses en faisant apparaître le solde. Lors des débats portant sur la seconde partie, chaque discussion budgétaire peut regrouper plusieurs « missions » (chaque mission regroupe des dépenses publiques de manière thématique).

Si la discussion des articles est, en principe chronologique, l’ordre peut être modifié à la suite de demandes de « réserve » ou de « priorité ». À l’Assemblée nationale, celles-ci peuvent émaner du gouvernement ou de la commission des finances (art. 95, alinéas 4 et 5 RAN) ; au Sénat, de la commission des finances, sauf opposition du gouvernement (tranchée par le Sénat lui-même, art. 44, alinéa 6 RS).

S’il peut se comprendre que le gouvernement ou la commission souhaite regrouper la discussion d’articles ou d’amendements qui ont un objet semblable, en matière fiscale par exemple, une certaine souplesse est aussi admise en pratique. Le président de séance, ou la conférence des présidents en cas de demande significative, peut opérer des modifications ponctuelles souhaitées par le gouvernement. Celles-ci peuvent être justifiées par la présence d’un ministre, comme ce fut le cas le lundi 27 octobre avec la discussion des articles 4, 11 et 12 relatifs à la fiscalité des entreprises. La discussion de la fameuse « taxe Zucman » est très différente, puisqu’elle n’est justement pas prévue dans le PLF. Elle est contenue dans une proposition de loi ordinaire (loi n° 768, déposée le mardi 7 janvier 2025). Mais, pour s’assurer un relatif soutien des députés socialistes, le gouvernement a accepté que celle-ci soit discutée lors de la discussion du PLF, plus particulièrement lors de l’examen de l’article 3 qui prévoit l’instauration d’une « taxe sur le patrimoine financier des holdings patrimoniales ». D’abord repoussée en raison de l’enlisement des débats, la discussion a, ensuite, été retardée après une modification de l’ordre de discussion des articles (l’article 4 damant le pion à l’article 3). Il faut dire que l’enjeu est de taille. Le gouvernement a besoin du soutien des socialistes, ou en tout cas une absence de censure de leur part, ce qui l’oblige à ouvrir la discussion. Mais le RN s’oppose à toute version, même allégée, de cette taxe. En d’autres termes, la discussion pourrait entraîner la chute du gouvernement. Le report s’explique, ainsi, sans doute, par les tractations qui interviennent en coulisse dans un contexte très volatil. En cas de censure du gouvernement, le scénario serait le même qu’en 2024. Sans censure, c’est un autre scénario qui devient possible, celui d’une mise en œuvre par ordonnance.

Le spectre de l’ordonnance pour mettre en œuvre le PLF

En 2024, un ministre avait annoncé que le gouvernement n’aurait pas recours à une ordonnance pour mettre en œuvre le budget. Finalement, le Parlement a voté une loi de finances spéciale. En 2025, le Premier ministre a annoncé son intention de ne pas recourir à l’article 49, alinéa 3. Se pourrait-il que, cette fois-ci, le gouvernement mette en œuvre le budget par ordonnance ? Cette voie ultime, prévue par l’article 47 de la Constitution, n’a jamais été suivie par un gouvernement depuis 1958. C’est sans doute heureux, puisqu’elle court-circuite le Parlement et prive les citoyens du consentement à l’impôt. Mais la composition de l’Assemblée nationale depuis 2024 rend l’hypothèse plausible. En effet, cette procédure intervient lorsque le Parlement ne tient pas son délai global de 70 jours pour se prononcer sur le PLF. Comment un dépassement peut-il lui être imputable ? Si l’on peut discuter de l’hypothèse d’un retard pris à la suite de la censure d’un gouvernement et d’une reprise tardive de la discussion du même PLF, comme ce fut le cas en 2024, une cause toute trouvée est l’enlisement de la discussion en raison notamment du trop grand nombre d’amendements déposés. En 2025, le calendrier de la discussion prévoyait un vote de la première partie du PLF le 4 novembre. L’objectif ne devrait pas être atteint, ce qui implique une reprise des débats le 12 novembre, après une période d’examen du PLFSS. Un vent d’inquiétude commence à souffler sur l’assemblée qui a conduit le président de la commission des finances à appeler les groupes à renoncer à un grand nombre de leurs amendements.

Finalement, sauf adoption surprise par le Parlement, deux scénarios se dessinent pour le budget 2026. Le premier est pratiquement le même qu’en 2024. En l’absence de recours à l’article 49, alinéa 3, l’absence de compromis sur une mesure fiscale comme la « taxe Zucman » pourrait conduire au vote positif d’une motion de censure spontanée par les députés. Dans ce cas, seule l’adoption avant le 11 décembre d’une loi de finances partielle, c’est-à-dire ne comportant que la première partie qui porte sur les recettes et le consentement à l’impôt, ou l’adoption avant le 19 décembre d’une loi de finances spéciale autorisant la perception des impôts existants avec ouverture par décrets des crédits portant sur les services votés (art. 45 LOLF), permettra à l’État de fonctionner au 1er janvier 2026. Le deuxième scénario est celui de l’ordonnance. Il implique que le Parlement ne parvienne pas à rejeter le texte dans le délai imparti (s’il le fait, il faudrait en passer par une loi spéciale). Avec des discussions fiscales quotidiennes très tendues, le chemin est miné pour le gouvernement, mais l’horloge tourne pour les députés.