Par Jérôme Lasserre Capdeville, Maître de conférences HDR, Université de Strasbourg

Quelle-est cette proposition de loi ?

Alors que l’état du droit européen tarde à évoluer en matière de fraude aux opérations de paiement, un groupe de députés d’Ensemble pour la République a déposé à l’Assemblée nationale, le 4 février 2025, une proposition de loi « contre les fraudes aux moyens de paiement scripturaux » visant à instaurer un fichier national des IBAN douteux et à modifier le droit applicable au Fichier national des chèques irréguliers (FNCI).

Selon l’exposé des motifs, cette fraude aux moyens de paiement « constitue un enjeu crucial de justice économique et sociale ». Dès lors, renforcer l’arsenal législatif contre ces pratiques frauduleuses est jugé essentiel « pour protéger l’ensemble de la population, en particulier les citoyens les plus vulnérables, contre des risques souvent difficiles à détecter et des préjudices fastidieux à réparer ».

Que prévoit la proposition concernant la fraude au virement ?  

Une recherche rapide sur les sites juridiques recensant la jurisprudence « notable » témoigne du fait qu’un contentieux, concernant des substitutions frauduleuses d’IBAN, est en train de se développer (V. par ex., récemment, Cass. com., 15 janv. 2025, n° 23-15.437).

La proposition de loi a donc pour ambition de créer, par son article 1er, un fichier national des IBAN « douteux » centralisé à la Banque de France. Ce fichier pourrait ainsi être consulté par les prestataires de services de paiement (établissements de crédit, établissement de paiement et établissement de monnaie électronique) qui, dans le même temps, l’alimenteraient.

Un tel partage des IBAN douteux devrait alors permettre d’identifier et de bloquer rapidement les transactions frauduleuses. En effet, en centralisant de la sorte, au niveau national, la liste des comptes bancaires identifiés comme suspects, les établissements de crédit pourraient disposer d’une base commune pour détecter les « arnaques » avant même qu’elles ne se produisent et de les bloquer en amont.

Cette solution devrait permettre d’anticiper les mesures qui seront envisagées par la future directive service de paiement (DSP 3), mais aussi et surtout par le futur Règlement sur les services de paiement (RSP), qui sont toujours en cours de négociation à Bruxelles. De la sorte, la France pourrait devenir, selon l’exposé des motifs, « un précurseur en matière de lutte contre la fraude aux moyens de paiement en Europe ».

Que prévoit la proposition concernant la fraude au chèque ?

Deux évolutions sont envisagées ici. Elles concernent le Fichier national des chèques irréguliers (FNCI). Pour mémoire, ce dernier est un fichier destiné à lutter contre la fraude au chèque. Il permet de détecter l’utilisation de chèques irréguliers en centralisant certaines coordonnées bancaires. Il est consulté par les commerçants abonnés qui l’utilisent pour vérifier la régularité des chèques qui leur sont remis en paiement d’un bien ou service.

La première évolution envisagée concerne l’alimentation du fichier par le banquier. L’article 2 de la proposition de loi cherche à compléter le droit applicable au FNCI figurant à l’article L. 131-84 du Code monétaire et financier en y inscrivant la prise en compte des chèques contrefaits ou falsifiés.

Les dispositions règlementaires correspondantes devraient également être modifiées dans un second temps afin d’encadrer le formalisme applicable en la matière, et notamment le délai à respecter pour aviser la Banque de France, et ainsi permettre une mise à jour plus rapide du fichier.

Selon l’exposé des motifs de la proposition de loi, « cette mesure est d’autant plus importante que les faux chèques sont souvent utilisés pour régler des dettes envers l’État, comme des amendes ou des impôts ». Dès lors, renforcer la traçabilité de ces paiements contribuerait également « à la sécurisation des finances publiques ».

La seconde évolution envisagée concerne l’information du banquier lui-même. En l’état actuel de la réglementation, la banque qui encaisse le chèque ne peut pas consulter ce fichier : elle verse donc l’argent sur le compte du bénéficiaire, et c’est seulement lorsqu’elle demande à la banque émettrice de se faire payer qu’elle découvre si le chèque était valable ou non. Il est donc prévu, par l’article 3 de la proposition, la possibilité pour les banquiers de consulter les données du FNCI lors de la remise d’un chèque au paiement.

Cette possibilité de consultation par le banquier devrait alors permettre de retarder l’encaissement du chèque au crédit du compte. Cette évolution pourrait se révéler utile. De longue date, nous critiquons l’usage consistant pour le banquier présentateur à inscrire, dès la réception d’un chèque, le montant de ce dernier au crédit du compte du bénéficiaire. L’opération peut alors s’analyser en une « avance sur encaissement », c’est-à-dire une facilité de caisse. Or, le danger de cette inscription immédiate apparait lorsque le chèque s’avèrerait, par la suite, contrefait, falsifié, sans provision ou faisant l’objet d’une opposition. Dans ces cas, en effet, le banquier présentateur pourra demander le remboursement de l’avance précitée à son client. Une consultation préalable du FNCI par cet établissement de crédit pourrait donc éviter un certain nombre de déconvenues aux bénéficiaires des chèques concernés.

Pour conclure, on peut considérer que les évolutions envisagées par la proposition de loi sont opportunes. Il semble d’ailleurs que les rédacteurs de ce texte ont mené un travail conjoint avec le Trésor, mais aussi la Banque de France.

Cette proposition de loi sera-t-elle pour autant adoptée ? Il est délicat de le dire au moment où nous écrivons ses lignes. Son examen n’a d’ailleurs pas encore été inscrit à l’ordre du jour. Cependant, selon la presse spécialisée, la proposition en question pourrait être soutenue par Bercy. Si tel est le cas, tout devient possible.