Par Julien ANFRUNS, Avocat à la Cour

Un vol au Louvre ! Rien que l’expression semble tirée d’un scénario trop invraisemblable pour être vrai — un mélange d’Arsène Lupin et de thriller patrimonial, quelque part entre panache et inconscience. Pourtant, le 19 octobre 2025, la fiction a franchi le seuil du réel : la galerie d’Apollon a bel et bien été cambriolée. Cela touche le cœur symbolique de la France. Lorsque l’on s’en prend au Louvre, ce n’est pas seulement à un musée que l’on s’attaque, mais à l’idée même de la transmission du beau, de l’histoire et du bien commun.

Comment protéger un palais ouvert à neuf millions de visiteurs chaque année ?

Les faits, d’une précision cinématographique, sont connus. Quatre individus déguisés en travailleurs, avec gilets de haute visibilité, sont arrivés sur le quai François-Mitterrand à bord de deux scooters et d’un camion monte-charge. Deux d’entre eux ont utilisé une nacelle pour accéder au balcon du musée, fracturer plusieurs vitrines et dérober huit pièces d’orfèvrerie royale, parmi lesquelles des bijoux des reines Marie-Amélie et Hortense et de l’impératrice Marie-Louise, estimés à 88 millions d’euros. Le butin demeure introuvable. L’enquête, confiée à la Brigade de répression du banditisme (BRB) et à l’Office central de lutte contre le trafic de biens culturels (OCBC), a conduit à plusieurs interpellations.

Que devient une œuvre d’art si ses composantes sont dispersées ?

Mais la crainte principale tient ailleurs : que les bijoux soient démontés, les pierres retaillées et l’or fondu. Une telle opération, irréversible, réduirait à néant la possibilité de restitution. L’atteinte ne serait alors pas seulement patrimoniale mais ontologique : l’intégrité de ces œuvres disparaîtrait dans le silence du métal fondu et la dispersion des gemmes. C’est là la véritable tragédie : la perte du patrimoine, au-delà de la valeur marchande.

Laurence des Cars, présidente-directrice du musée, a rendu hommage à ses équipes, saluant « leur engagement exemplaire face à une agression qui touche au cœur notre mission ». Elle a rappelé la complexité de sécuriser un palais historique dont une partie des structures date encore du XIXᵉ siècle. Les services de sûreté du Louvre, engagés dans le plan Louvre – Nouvelle Renaissance, travaillent désormais d’arrache-pied à accélérer la modernisation des équipements de sécurité, sans compromettre l’ouverture au public.

Sur le plan juridique, l’affaire met au défi nos textes. Le Code pénal sanctionne le vol d’un bien culturel appartenant au domaine public de dix ans d’emprisonnement et 150 000 € d’amende (art. 311-4-2 et art. 311-4). Le recel (art. 321-1 s.) est puni est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 375 000 euros d’amende. L’amende peut atteindre la moitié de la valeur du butin, soit jusqu’à 44 millions d’euros. Le Code du patrimoine (art. L114-1) renforce ce cadre : deux ans d’emprisonnement et 450 000 € d’amende pour toute tentative d’exportation illicite d’un bien culturel. Les juridictions peuvent ordonner la confiscation automatique des biens recelés, y compris lorsqu’ils ont transité entre plusieurs acquéreurs. Encore faut-il les retrouver…

Les textes et la jurisprudence consacrent le principe d’intangibilité. Le principe cardinal figure à l’article L. 3111-1 du Code général de la propriété des personnes publiques, qui dispose que « les biens des personnes publiques mentionnées à l’article L. 1, qui relèvent du domaine public, sont inaliénables et imprescriptibles ». Aucune prescription, aucun contrat ne peut valider la possession par autrui d’un bien appartenant à l’État. Les collections publiques sont inaliénables et imprescriptibles (Conseil constitutionnel décision n° 2018-743 QPC du 26 octobre 2018, Cass. com., 23 mai 2024 ; CE, 14 mai 2024).

Sur le plan international, l’OCBC travaille de concert avec Interpol, dont la base mondiale d’œuvres volées permet d’alerter instantanément les autorités douanières et les maisons de vente tout comme avec l’UNESCO et l’ICOM (Conseil international des musées). Le règlement européen 2019/880, entré pleinement en vigueur en 2025, interdit toute importation d’œuvres exportées illégalement et instaure des contrôles renforcés pour les objets de plus de 250 ans. Ces mécanismes rendent particulièrement difficile la revente légale du butin sur le marché officiel.

Quid des assurances ?

Fait souvent méconnu, les joyaux dérobés au Louvre n’étaient pas couverts par une assurance privée. Comme pour la majorité des musées publics français, les œuvres de la collection permanente relèvent d’un régime d’auto-assurance de l’État : c’est la puissance publique qui porte elle-même le risque, selon le principe de la responsabilité directe sur le lieu de conservation. Autrement dit, aucune compagnie privée n’indemnise les collections permanentes du musée en cas de sinistre sur site — les réparations, restaurations ou reconstitutions éventuelles sont financées sur budgets publics ou mécénat. En revanche, pour les expositions, lorsqu’une œuvre quitte son lieu habituel, une assurance dite “clou à clou” peut être souscrite, couvrant l’objet depuis son décrochage jusqu’à son retour, y compris pendant le transport et l’exposition. Enfin, l’État peut garantir une partie des coûts d’assurance lorsque des expositions temporaires d’envergure sont organisées par des établissements publics nationaux. Ce mécanisme, instauré par une loi de 1993, vient en complément de l’assurance privée et vise à alléger significativement la dépense d’assurance pour les œuvres prêtées ou déplacées lors d’expositions, en particulier lorsque les œuvres n’appartiennent pas aux collections publiques de l’État.

Que révèle ce délit, sinon la fragilité d’un héritage commun ?

Mais au-delà des textes et des procédures, c’est la fragilité même du patrimoine que ce drame met à nu. Le Louvre, temple laïque du génie humain, incarne une promesse universelle : celle d’un accès partagé à la beauté. Comme l’écrivait Malraux dans Le Musée imaginaire, chaque œuvre y devient « une métamorphose du regard ». Or, quand l’or des objets d’art est fondu et que la pierre détachée, c’est une part de cette métamorphose qui s’éteint.

« Protéger le patrimoine, c’est défendre la mémoire des hommes contre l’usure du temps et la cupidité des hommes. » disait Françoise Chandernagor. L’avenir du Louvre, porté plus que jamais dans cette adversité par la compétence et l’engagement de ses équipes et la mobilisation de l’État, s’inscrit dans la résilience : moderniser, protéger, transmettre.