Le sort de la Pascaline en suspens
La machine à calculer inventée par Blaise Pascal, dite la « Pascaline », devait être vendue aux enchères publiques. Toutefois, son certificat d’exportation a été suspendu en urgence par la justice administrative la veille de la vente. Décryptage.
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Par Laurence Mauger-Vielpeau, Professeur à l’Université de Caen
Quel est le contexte de l’affaire ?
Le juge des référés du Tribunal administratif de Paris vient de rendre une ordonnance en date du 18 novembre 2025 (n° 2533061/5) qui n’est pas passée inaperçue. Saisi par quatre associations, dont celle des « Amis et correspondants du centre international Blaise Pascal » et trois scientifiques, il a ordonné, en urgence, la suspension du certificat d’exportation délivré le 5 mai 2025 par la ministre de la culture à la « Pascaline », machine à calculer inventée par Blaise Pascal.
Cette décision est justifiée par une situation d’urgence consistant ici en la vente aux enchères publiques que devait organiser la société Christie’s le 19 novembre et par un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée. L’enjeu est la sortie définitive du bien du territoire national. Cette sortie n’est possible qu’en cas de délivrance d’un certificat d’exportation, lequel est refusé aux biens culturels présentant le caractère de trésor national.
Le certificat d’exportation
La code du patrimoine assure la protection des biens culturels, notamment en régissant le régime de leur circulation. A ce titre, l’article L. 111-2 prévoit que « L’exportation temporaire ou définitive hors du territoire douanier des biens culturels, autres que les trésors nationaux, qui présentent un intérêt historique, artistique ou archéologique et entrent dans l’une des catégories définies par décret en Conseil d’Etat est subordonnée à l’obtention d’un certificat délivré par l’autorité administrative. Ce certificat atteste à titre permanent que le bien n’a pas le caractère de trésor national ». C’est le propriétaire du bien ou son mandataire, tel un opérateur de ventes volontaires de meubles avant d’en réaliser la vente aux enchères publiques, qui en fait la demande au ministre chargé de la culture. Celui-ci doit alors faire procéder à diverses vérifications. A ce titre, il confie l’examen de la demande à une ou plusieurs personnes qui apprécient l’intérêt historique, artistique ou archéologique du bien (art. R. 111-8). Ainsi, la Pascaline s’est vue délivrer un tel certificat le 5 mai 2025 par la ministre de la culture. Or, il semble que l’examen requis n’ait pas été mené de manière satisfaisante car comme le relève le juge des référés « En l’état de l’instruction et compte tenu, notamment, de la valeur historique et scientifique de la machine à calculer inventée par Blaise Pascal, dite la « Pascaline » issue de la collection privée Léon Parcé et dédiée à l’arpentage », il fallait s’interroger sur son appartenance aux trésors nationaux.
La qualification de trésor national
C’est l’article L. 111-1 qui détermine les trésors nationaux. Sont qualifiés ainsi les biens appartenant aux collections des musées de France ; certaines archives publiques et les biens classés comme archives historiques ; les biens classés au titre des monuments historiques ; les autres biens faisant partie du domaine public mobilier ; et « Les autres biens présentant un intérêt majeur pour le patrimoine national au point de vue de l’histoire, de l’art, de l’archéologie ou de la connaissance de la langue française et des langues régionales ».
Or, la Pascaline pourrait bien faire partie de cette dernière catégorie. La ministre ayant décidé de délivrer le certificat d’exportation, elle n’a pas saisi la commission consultative des trésors nationaux et transmis à son président un rapport scientifique sur le bien (art. R. 111-11) pour le déterminer. Rappelons que les trésors nationaux ne peuvent pas quitter définitivement le territoire national (art. L. 111-2 et L. 111-4), seulement à titre temporaire aux fins de restauration, d’expertise, de participation à une manifestation culturelle ou de dépôt dans une collection publique (art. L. 111-7). La notion de trésor national a évolué sous l’impulsion du droit de l’Union européenne qui favorise la libre circulation des marchandises. Elle doit donc être entendue strictement. La Pascaline peut pourtant, à notre sens, en relever dans la mesure où elle présente un intérêt majeur pour le patrimoine national au point de vue de l’histoire car elle est considérée comme la première machine à calculer.
La suite de la procédure
L’ordonnance du juge des référés ayant suspendu l’exécution du certificat d’exportation litigieux, peut faire l’objet d’un recours si elle satisfait aux conditions exigées (pourvoi en cassation, réexamen…). Mais, comme la demande de référé suspension était accompagnée d’un recours au fond – une requête en annulation du certificat d’exportation critiqué – il faut attendre la décision sur le fond qui se prononcera sur la légalité dudit certificat.
En effet, la suspension est provisoire et cesse de produire ses effets lorsque la décision au fond intervient. On saura alors à quelle catégorie se rattache la Pascaline…