La réintroduction de l’ISF aurait essentiellement une portée symbolique
Le mouvement des « gilets jaunes » aurait conduit le gouvernement à s’interroger sur un éventuel rétablissement de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF), avant que Emmanuel Macron ne rejette cette hypothèse[1]. Aurait-elle pourtant une quelconque pertinence ? Décryptage avec Martin Collet, professeur à l’Université Panthéon-Assas (Paris II).
À quoi sert la réintroduction de l’ISF ?
Pour quelle raison l’ISF a-t-il été supprimé ?
En réalité, l’ISF n’a pas tant été supprimé qu’amputé d’une bonne part de son contenu : le nouvel « impôt sur la fortune immobilière » (IFI), instauré par la loi de finances pour 2018, reprend en effet la plupart des caractéristiques de son prédécesseur (seuil d’entrée à 1,3 million d’euros de patrimoine, barème progressif, exonération des biens affectés à l’usage professionnel du contribuable, etc.), mais s’en sépare sur un point notable : seule la composante immobilière du patrimoine est désormais taxée, à la différence de sa composante mobilière (liquidités, actions, obligations, etc.).
Dans l’esprit du candidat à l’élection présidentielle Emmanuel Macron[2], une telle réforme devait inciter les personnes fortunées à investir dans le financement des entreprises à travers l’acquisition de valeurs mobilières plutôt que dans la pierre. Toutefois, la pertinence économique d’une telle incitation relève pour beaucoup de la pétition de principe : rien n’indique qu’investir dans l’immobilier a forcément une utilité économique et sociale moindre que la souscription de titres obligataires auprès d’une entreprise ou encore d’un État étranger…
En revanche, il est intéressant de noter que l’idée selon laquelle l’ISF ferait fuir les plus riches hors de nos frontières et, symétriquement, dissuaderait les étrangers d’investir en France n’avait pas été mise en avant par le candidat Macron. Il est vrai que plusieurs études[3] ont montré que ce double effet repoussoir restait sans doute limité : d’un côté, aucun véritable exode fiscal n’a jamais été enregistré et, d’un autre, la décision d’un opérateur étranger de localiser en France plutôt qu’ailleurs une nouvelle activité économique prend assurément plus en compte le niveau de taxation des entreprises que celui des particuliers.
D’autres considérations – peut-être plus difficiles à assumer politiquement – ont pu être également prises en compte, en particulier celles liées au rejet que cet impôt pouvait inspirer à ceux qui le payaient… et ce alors même que les sommes en jeu pouvaient, y compris de leur point de vue, rester limitées. En particulier, une grande part des assujettis à l’ISF acquittaient un impôt de quelques milliers d’euros, souvent inférieur à ce qu’ils pouvaient acquitter au titre de la taxe foncière et, évidemment, de l’impôt sur le revenu. Toutefois, l’obligation d’évaluer puis de déclarer chaque année la moindre composante de son patrimoine pouvait apparaître extrêmement fastidieuse, voire particulièrement intrusive.
Au-delà des symboles, quel impact budgétaire aurait l’éventuel rétablissement de l’ISF ?
Sans être négligeable, cet impact resterait nécessairement limité. Au plus fort de son rendement, le produit de l’ISF n’a jamais dépassé les 5 Md€. En 2019, l’IFI devrait quant à lui rapporter de l’ordre de 1,5 Md€. Évidemment, cet écart de 3,5 Md€ n’est pas mince. Mais il mérite d’être rapporté aux 115 Md€ de CSG que l’État prélèvera en 2019 ou encore au 78 Md€ d’impôt sur le revenu (IR) qui, pour la peine, se concentrent sur les contribuables les plus aisés et garantit au système fiscal français une bonne progressivité. Selon les évaluations du Conseil des prélèvements obligatoires[4], les 10 % de foyers disposant des plus hauts revenus acquittent 70 % du produit net de l’IR. À l’inverse, plus de la moitié des 38 millions de foyers en principe assujettis à l’IR ne sont pas imposés, faute de revenus suffisants.
Surtout, il semblerait difficile de dépasser ce rendement de 5Md€. Le Conseil constitutionnel a en effet eu l’occasion de « cristalliser » bon nombre des caractéristiques de l’ancien barème de l’ISF, tout comme d’exiger – ce qui n’allait pas de soi – le maintien d’un mécanisme de plafonnement de l’ISF au regard du niveau de revenu des contribuables concernés[5]. En voulant augmenter le rendement de l’ISF, le législateur serait nécessairement conduit à modifier les caractéristiques qu’avait l’impôt au plus haut de son rendement, au risque de le rendre ainsi « confiscatoire », selon l’expression qu’emploie le Conseil constitutionnel.
Peut-on d’ores et déjà évaluer la pertinence de la substitution de l’actuel IFI au défunt ISF ?
Il semble difficile de contredire le ministre de comptes publics lorsqu’il rappelle que l’impact d’une réforme fiscale ne s’apprécie pas dans les semaines ou les mois suivant son entrée en vigueur[6] !
S’agissant de l’éventuel impact de la réforme sur les décisions de particuliers comme d’entreprises de quitter ou, à l’inverse, de rejoindre le territoire français, il ne pourra être mesuré que sur une période de plusieurs années. Surtout, une telle décision repose toujours sur de multiples facteurs qu’il n’est pas simple de démêler : personne ne fait le choix de s’installer dans un pays plutôt que dans un autre au regard des considérations uniquement fiscales… C’est d’ailleurs l’une des difficultés qu’a toujours rencontrées le ministère des finances dans ses tentatives d’évaluer le nombre d’expatriation pour motifs fiscaux : de nombreux éléments – opportunités professionnelles, qualité de vie, système d’éducation, etc. – guident généralement les personnes faisant le choix de s’installer à l’étranger.
En réalité, l’impact le plus probable de la disparition de l’ISF se situe sur le même registre que celui qui a guidé son instauration et qui suggère à certain son éventuelle réintroduction : le registre symbolique. Mais, en l’occurrence, le symbole se veut économiquement rentable : comme y insistait le candidat Macron, la suppression de l’ISF sous sa forme traditionnelle avait vocation à s’intégrer dans un ensemble plus vaste de réformes souvent qualifiées de « probusiness ». De ce point de vue, l’objectif était de redorer l’image de la France, tant à l’étranger qu’auprès de ses propres habitants, pour signifier que le premier objectif du pays n’est pas tant de taxer ceux qui réussissent que de les y aider. Si un tel message peut avoir de vrais effets sur le dynamisme économique du pays, il reste évidemment peu audible par ceux qui se considèrent comme hors jeu, voire comme laissés pour compte.
Par Martin Collet
[1] https://www.lesechos.fr/economie-france/budget-fiscalite/0600284633929-macron-referme-le-debat-sur-lisf-objet-dune-cacophonie-gouvernementale-2227563.php
[2] https://en-marche.fr/emmanuel-macron/le-programme/fiscalite-et-prelevements-obligatoires
[3] Conseil des prélèvements obligatoires (2018, p. 84)
[4] CPO, Impôt sur le revenu, CSG quelles réformes ?, La Documentation française, 2015, p. 46.
[5] Cons. const., déc. n° 2012-654 DC, 9 août 2012, cons. 33 et s.
[6] https://www.francetvinfo.fr/economie/budget/video-effets-de-la-suppression-de-l-isf-on-ne-juge-pas-le-100-metres-haies-au-bout-de-12metres-estime-gerald-darmanin_3087275.html