Reconnaissance de la Palestine : que risquent les maires qui hissent le drapeau malgré l’interdiction ?
Bruno Retailleau, ministre de l’Intérieur, a demandé aux préfets d’interdire les pavoisements du drapeau palestinien en raison de la neutralité du service public, de la compétence exclusive de l’État en matière de politique étrangère et du risque de troubles graves à l’ordre public. Pourtant, à l’occasion de la reconnaissance de la Palestine par la France, le 22 septembre, plus d’une centaine de mairies l’ont hissé ou apposé. Que risquent les maires ?
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Par Olivier Gohin, Professeur émérite de l’Université Paris-Panthéon-Assas
Quelle est la position de la justice administrative ?
Le pavoisement des édifices publics, notamment des mairies, ne fait l’objet, en droit français, d’aucun texte législatif ou réglementaire, à ce jour. Dès lors, à défaut de textes normatifs et pertinents, c’est vers la jurisprudence qu’il faut se tourner, plus précisément vers le principe de neutralité du service public qui est invoqué, de façon utile, mais biaisée, en tant que le pavoisement des mairies peut porter atteinte à ce principe de droit administratif (CE, 3 mai 1950, Dlle Jamet, Rec. 247) et même de droit constitutionnel (CC, 18 sept. 1986, Liberté de communication, déc. n° 86-217 DC, consid. 15).
Il en est certainement ainsi au cas où est substitué au drapeau français, emblème d’une République « indivisible » (Const., art. 1er, al. 1er), tout drapeau indépendantiste. Dans son arrêt de principe relatif à la commune de Sainte-Anne (Martinique), le Conseil d’État a considéré, en ce sens, que « Le principe de neutralité des services publics s’oppose à ce que soient apposés sur les édifices publics des signes symbolisant la revendication d’opinions politiques, religieuses ou philosophiques ». (CE, 27 juil. 2005, Commune de Sainte-Anne, Rec. 347 ; RFDA 2005. 1137, concl. Donnat). A contrario, pavoiser aux seules couleurs nationales, c’est respecter cette neutralité car il est considéré qu’il y a consensus sur le pavoisement tricolore, hors de toute idéologie.
Au regard de ces éléments, le drapeau palestinien peut-il être affiché sur les mairies ?
Le juge administratif a apporté une réponse dans plusieurs affaires récentes. Par ordonnance du 21 juillet 2025, le Conseil d’État s’est prononcé sur l’apposition, au fronton de la mairie de la Courneuve, du drapeau de la Palestine en estimant que, « Si la commune de La Courneuve soutient que l’affichage de la banderole et la distribution des fanions en litige auraient pour seul objet de manifester la solidarité de la commune et de ses habitants aux populations civiles de la bande de Gaza, dans un but exclusivement humanitaire, il résulte du recours aux couleurs du drapeau palestinien et des termes mêmes inscrits sur cette banderole et ces fanions ainsi que des propos diffusés par le maire sur les réseaux sociaux pour expliquer l’objet de cette démarche que la commune a entendu exprimer, au moyen de ces outils de communication, une prise de position de nature politique au sujet d’un conflit en cours » (CE ord. réf-suspension, 21 juill. 2025, Commune de la Courneuve, n° 506299). Autrement dit, le co-pavoisement du drapeau palestinien sur la mairie de la Courneuve est au nombre des éléments qui attestent, dans le contexte de l’affaire, de la violation du principe de neutralité du service public par cette commune.
Le Tribunal administratif de Melun a, quant à lui, estimé, le 21 juin 2025, que « dans les circonstances de l’espèce, l’apposition du drapeau palestinien sur la façade de la mairie de Mitry-Morin au côté du drapeau français doit être regardée comme symbolisant la revendication d’une opinion politique ». Dans le même sens, le Tribunal administratif de Lille a considéré, le 8 août 2025, que « l’apposition du drapeau palestinien sur la façade de l’hôtel de ville de Faches-Thumesnil n’a pas, contrairement à ce qui est soutenu en défense, pour seul objet de manifester la solidarité de la commune et de ses habitants aux populations civiles de la bande de Gaza, dans un but exclusivement humanitaire, mais doit être regardée comme une prise de position de nature politique au sujet d’un conflit en cours ». Le pavoisement du drapeau palestinien sur le fronton d’une mairie suffit donc à établir, en l’espèce, la violation du principe de neutralité du service public par l’une et l’autre de ces deux communes.
Au demeurant, dès lors qu’en matière de pavoisement, la seule jurisprudence d’interdiction est celle relative aux drapeaux indépendantistes et qu’il n’existe aucune obligation de texte normatif imposant le pavoisement aux seules couleurs nationales, le co-pavoisement reste toujours possible. Il peut s’agir, d’une part, du drapeau de toute organisation internationale autre que l’Union européenne dont la France est membre, par exemple celui de l’ONU, de l’OTAN, de l’OIF ou encore du Comité international olympique. Il peut s’agir, d’autre part, du drapeau de tout autre État étranger, pour autant que cet État soit reconnu par la France ou que celle-ci ne soit pas en situation de rupture des relations diplomatiques ou de guerre déclarée avec lui, reconnu ou non. Il peut s’agir également – comme c’est fréquent – d’un drapeau régional ou municipal.
Comment les préfets peuvent-ils s’opposer à la pose de drapeaux palestiniens sur les mairies et autres édifices publics ?
Le pavoisement d’une mairie relève de la compétence du maire en tant qu’agent de l’État, sous l’autorité du préfet ou, indirectement, du ministre de l’Intérieur. Mais le dédoublement fonctionnel entraîne une confusion : le maire peut méconnaître ses obligations d’agent de l’État en agissant comme agent de la commune.
En cas de non-respect des obligations de pavoisement ou de non-pavoisement, le préfet exerce son contrôle de légalité et peut alors déférer la décision de pavoiser ou de ne pas pavoiser devant le tribunal administratif compétent, aux fins d’annulation.
Pour des raisons de rapidité, pas forcément d’efficacité, le déféré-suspension d’extrême urgence est retenu, sur le fondement de l’article L. 2131-6 du CGCT : lorsqu’un acte administratif porte gravement atteinte à la neutralité du service public, le président du tribunal administratif peut en prononcer la suspension dans les quarante-huit heures. La décision est susceptible d’appel devant le président de la section du contentieux du Conseil d’État qui statue également sous quarante-huit heures.
Le préfet n’est pas le seul à pouvoir intervenir. Par deux ordonnances du 25 juin 2025, le juge des référés du Tribunal administratif de Nice a suspendu le refus du maire de de la ville de retirer des drapeaux israéliens. Il a estimé, d’une part, que l’urgence était caractérisée au regard du contexte international et, d’autre part, que la méconnaissance du principe de neutralité du service public créait un doute sérieux sur la légalité de la décision.
De plus, le juge des référés peut prononcer une injonction de faire ou de ne pas faire, comme en l’espèce : le maire de Nice a été enjoint de retirer ces drapeaux israéliens dans un délai de cinq jours.
Une astreinte peut même être prononcée en cas de non-exécution de la décision juridictionnelle. C’est ainsi que le juge des référés du Tribunal administratif de Cergy-Pontoise vient de prononcer une astreinte de 150 euros par jour de retard jusqu’au retrait du fronton de l’hôtel-de-ville de Malakoff du drapeau de l’État de Palestine, pourtant reconnu, le même jour, par la France (TA Cergy-Pontoise, 22 sept. 2025, Préfet des Hauts-de-Seine, n° 2517016).
Que risquent les maires qui hissent le drapeau malgré l’interdiction de le faire ?
En cas de non-respect de l’obligation de procéder ou de ne pas ou de ne plus procéder au pavoisement, l’État dispose aussi d’un autre pouvoir de contrôle, exercé sur les personnes : le préfet a le pouvoir de suspendre le maire pour une durée d’un mois au plus, après exercice des droits de la défense (CGCT, art. L. 2122-16, al. 1er ; rép. minist. préc. du 10 nov. 2005 – Sénat – à la question n° 18643). Ce pouvoir de sanction peut théoriquement aller, selon ce même dispositif légal, jusqu’à la révocation du maire par décret en conseil des ministres. Qui, par ce motif, peut le croire ou le craindre ?