xAI vs Apple et OpenAI : la guerre antitrust se poursuit sur le marché de l’IA générative !
Le 25 août dernier, Musk a engagé un nouveau bras de fer antitrust devant le tribunal du district nord du Texas. Cette fois-ci, il s’attaque non seulement à OpenAI, mais également à Apple. Il accuse les deux entreprises d’avoir conclu un accord d’exclusivité anticoncurrentiel faisant d’OpenAI la seule intelligence artificielle générative (IA générative) intégrée aux iPhones de l’entreprise à la pomme.
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Par Walid Chaiehloudj, Professeur à l’Université Côte d’Azur (Nice), Membre du collège de l’Autorité de la concurrence (Paris), Vice-président de l’Autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie (Nouméa).
Quel est le contexte de l’affaire ?
Il s’agit d’un contexte de guerre judiciaire dans le secteur de l’IA générative, laquelle a pris de l’ampleur ces derniers mois. Trois repères sont essentiels pour comprendre ce bras de fer antitrust :
D’abord, il faut se rappeler que cette guerre n’est pas étrangère aux personnalités actuellement à la tête des entreprises dominantes du secteur. Il existe depuis quelque temps une guerre des egos et personnelle entre Elon Musk et Sam Altman. Celle-ci semble avoir atteint son point de non-retour avec le refus de céder le contrôle d’OpenAI à Musk en février dernier, malgré une offre de plus de 97 milliards de dollars (C. Metz, M. Isaac et J. Jiménez, ‘OpenAI Rejects Elon Musk’s $97.4 Billion Bid for Control of the Company’ New York Times, 14 Feb. 2025).
Ensuite, il faut se souvenir que le dirigeant de Tesla faisait partie en 2015 des co-fondateurs du projet OpenAI dont le but était à l’origine de développer des outils IA « au service de l’humanité tout entière, sans être assujetti à l’exigence de générer un retour financier ». Elon Musk quitta brutalement OpenAI en 2018 pour des raisons stratégiques et les risques d’un possible conflit d’intérêts lié aux initiatives menées par Tesla en matière d’IA. Pendant un temps, le dirigeant d’X resta un important donateur, mais arrêta de financer OpenIA lorsque Sam Altman annonça qu’OpenAI allait abandonner son statut d’organisation à but non lucratif. Depuis lors, Elon Musk a fondé xAI, une entreprise dédiée au développement de l’intelligence artificielle prenant la forme d’une public benefit corporation, l’équivalent de notre « société à mission » en droit français. Autrement dit, xAI et OpenAI sont aujourd’hui des concurrents sur le marché de l’IA générative, avec une rivalité qui s’est intensifiée depuis que xAI a lancé en novembre 2023, Grok, son agent conversationnel fondé sur l’intelligence artificielle (AI chatbot).
Enfin, il convient de relever un premier échec antitrust pour Elon Musk. Une décision de mars dernier a rejeté toutes ses demandes à l’encontre d’OpenAI (Musk v. Altman, No. 4:24-cv-04722-YGR, 2025 WL (N.D. Cal. 4 March 2025)). Dans cette affaire, le dirigeant soutenait, entre autres, qu’OpenAI et Microsoft avaient mis en œuvre une pratique de boycott consistant à interdire aux investisseurs de soutenir des entreprises concurrentes telles que xAI. La juge Gonzalez Rogers a considéré que les preuves apportées étaient insuffisantes pour démontrer qu’il existait une telle collusion entre les parties (pour une analyse de cette décision : W. Chaiehloudj, ‘Musk v. OpenAI: Antitrust and the Boundaries of Strategic Litigation in the AI Sector’ (2025) European Competition and Regulatory Law Review).
Qu’est-il reproché à OpenAI et à Apple ?
Concrètement, il est reproché aux deux entreprises d’avoir conclu en 2024 un accord d’exclusivité faisant de ChatGPT l’unique IA générative intégrée dans les iPhones alors même que ChatGPT est déjà en position dominante sur le marché de l’IA générative aux États-Unis. Cet accord poserait selon les plaignants plusieurs préoccupations de concurrence :
D’abord, les IA génératives ont accéléré l’essor des « super apps ». Il s’agit d’applications qui regroupent dans une seule plateforme diverses fonctions offertes par les smartphones. Dit autrement, une super app offre un service multi-usage (i) qui permet de payer, de communiquer, de jouer, de réserver un voyage, de faire ses courses, etc. ; une accessibilité universelle(ii), car elle peut fonctionner sur différents appareils sans dépendre totalement d’un système d’exploitation, qu’il s’agisse d’iOS ou d’Android ; et renforcée par l’IA, elle devient capable de personnaliser les services, d’automatiser des tâches et de remplacer plusieurs applications spécialisées (iii). L’exemple typique de la super app, on le trouve actuellement en Chine avec WeChat qui est à la fois une messagerie, un réseau social, un système de paiement et de réservation, mais guère en Europe ou aux USA. Or, pour Elon Musk, l’accord entre OpenAI et ChatGPT empêcherait l’émergence de super apps, ce que pourrait devenir à terme Grok. Pourquoi ? Parce que les super apps sont susceptibles de constituer une plateforme englobant des fonctions traditionnellement accessibles via des applications distinctes téléchargées sur l’App Store d’Apple. Avec les super apps, Apple risque de voir ses revenus chuter, les consommateurs n’ayant plus la nécessité de télécharger plusieurs applications pour faire plusieurs tâches distinctes. Selon la plainte, « les super apps banalisent les fonctionnalités natives de l’iPhone (y compris ses applications par défaut), ce qui permet aux consommateurs de choisir d’abord une super app, puis de décider quel smartphone sera le plus à même de la prendre en charge – plutôt que de choisir un smartphone en premier et de se retrouver enfermé dans l’écosystème de celui-ci » (§ 175 de la plainte). Surtout, en termes de préjudice, Elon Musk estime qu’en excluant Grok du marché de l’IA générative, OpenAI et ChatGPT sont en train de freiner l’innovation, car l’intégration de Grok dans l’iPhone faciliterait le développement par le réseau social X et xAI d’une super app fournissant une alternative véritablement significative aux utilisateurs de smartphones.
Ensuite, il est reproché à cet accord d’exclure xAI du marché de l’IA générative. Pourquoi ? Selon la plainte, Apple contrôlerait 65% du marché des smartphones. Aussi, l’intégration de ChatGPT, lui permet un accès exclusif à potentiellement des milliards de requêtes d’utilisateurs émanant de centaines de millions d’iPhones. Or, « le volume de requêtes est essentiel pour les chatbots d’IA générative comme ChatGPT, car ces derniers tirent un avantage considérable de l’effet d’échelle. Plus le nombre de requêtes est important, plus les réponses sont nombreuses, fournissant ainsi au modèle d’IA davantage de données d’entraînement. Comme les chatbots d’IA générative améliorent continuellement leurs algorithmes à mesure qu’ils reçoivent de nouvelles requêtes, chaque requête supplémentaire contribue à renforcer leur performance. Ces améliorations attirent alors un nombre croissant d’utilisateurs, ce qui génère encore plus de requêtes. Or, l’accord conclu entre Apple et OpenAI prive les autres chatbots d’IA générative de l’ensemble des requêtes émanant nativement des iPhones, les empêchant ainsi de bénéficier de l’échelle nécessaire et de saisir les opportunités d’améliorer leur technologie » (§ 92 de la plainte). C’est dire qu’avec cet accord, ChatGPT devrait profiter à plein du « first mover advantage ».
Enfin, l’accord ferait que Grok sera totalement marginalisé, et ce, pour deux raisons. D’une part, Apple manipule déjà le classement de l’application de Grok dans l’App Store et entraîne un retard systématique de la validation de ses mises à jour. D’autre part, en privant Grok des prompts des utilisateurs de l’iPhone, le chatbot est nécessairement moins performant, car l’accord a limité sa capacité à atteindre la masse critique indispensable dans un marché caractérisé par de forts effets de réseau. Partant, l’accord aurait produit deux préjudices : premièrement, il a restreint les parts de marché de Grok en raison de faibles téléchargements du chatbot ; secondement, il a entravé la dynamique d’innovation et l’attractivité de Grok pour les investisseurs.
Quelles sont les suites envisageables dans cette affaire ?
S’agissant des États-Unis, l’affaire pourrait conduire à la constitution d’un jury chargé de déterminer si OpenAI et Apple ont enfreint les règles antitrust américaines. Il est difficile à ce jour de se prononcer sur les chances de succès, la plainte étant pour l’heure plutôt sobre en données empiriques. Ce qui est certain, c’est que désormais il existe un précédent favorable à Elon Musk dans le secteur des Big tech, puisqu’en août 2024, le juge Mehta a estimé que les accords de distribution exclusifs de Google était contraire à la section 2 du Sherman Act (United States of America et al., v. Google LLC, Memorandum Opinion, case No. 20-cv3010 (D.D.C. Aug. 5, 2024)). Même si les remèdes sont actuellement critiqués suite à la seconde décision du juge Mehta (United States v. Google LLC; State of Colorado v. Google LLC, Nos. 20-cv-3010 (APM), 20-cv-3715 (APM) (D.D.C. Sept. 2, 2025), il est certain que ce type d’accord est porteur de risque d’un point de vue concurrentiel.
S’agissant de l’Union européenne, la plainte ne dit rien des effets extraterritoriaux de l’accord. Ce dernier couvre-t-il l’Union européenne, ce qui ferait de ChatGPT l’IA générative exclusive des iPhones européens ? Cela ne semble en pratique pas être le cas. Mais si ce scénario se présentait ou existait, des voies d’action seraient envisageables. Il faudrait assurément saisir la Commission européenne ou une autorité de concurrence nationale pour obtenir des mesures provisoires ou conservatoires, telles que celle de suspendre l’exclusivité jusqu’à ce que l’affaire soit jugée au fond. Mais attention, il faudra des preuves très solides et démontrer une atteinte grave et immédiate à la concurrence ou à un secteur, à l’intérêt des consommateurs, ou à l’entreprise plaignante. La lecture de la plainte ne permet pas d’être certain qu’une autorité de concurrence accepterait une demande de mesure conservatoire en l’état. À l’échelle de l’Union européenne, la Commission a rarement accepté de prononcer des mesures provisoires. En antitrust, le dernier cas remonte à l’affaire Broadcom (Comm. eur., 16 oct. 2019, Broadcom, aff. AT.40608).