Loi sur le narcotrafic : l’évolution du statut de repenti
Le 29 avril dernier, le Parlement a définitivement adopté la proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic. Figure parmi les dispositions largement médiatisées (à côté de la création d’un Parquet national anticriminalité organisée) la refonte du statut de repenti. Pourquoi le renforcement du régime était-il si attendu ?

Par Catherine Ménabé, Maître de conférences à l’Université de Lorraine
Qu’est-ce que le statut de repenti ?
Issu de la loi du 9 mars 2004 dite Perben II portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, le statut de repenti permet au participant à certaines infractions de bénéficier d’une exemption ou d’une diminution de peine dans l’hypothèse où il a averti les autorités judiciaires ou administratives de l’existence des faits (article 132-78 du code pénal). Ce statut est inspiré du régime italien anti-mafia des « pentiti » ayant notamment bénéficié à Tommaso Buscetta sur décision du juge Giovanni Falcone et ayant permis le maxi-procès contre Toto Riina et la Cosa Nostra.
Le statut de repenti est fondé sur l’idée du « donnant-donnant » : l’État a tout intérêt à favoriser la collaboration des criminels avec la Justice pour éviter la commission d’infractions ou poursuivre les auteurs, et les criminels dénonceront plus aisément les faits auxquels ils participent ou dont ils ont connaissance s’ils peuvent bénéficier d’une sorte d’immunité ainsi que d’une protection. Le statut de repenti a en effet également pour intérêt d’assurer une protection au bénéficiaire et à sa famille, leur sécurité étant préservée par l’État, à ses frais, et pouvant même conduire à l’usage d’une identité d’emprunt (articles 706-63-1 et -2 du code de procédure pénale).
Pourquoi réformer ce statut ?
Alors que le repenti a été institué en 2004, la mise en œuvre du statut a été attendue pendant 10 ans, le décret d’application de la loi n’ayant été signé que le 17 mars 2014. Depuis, c’est la Commission nationale de protection et de réinsertion (CNPR) qui est chargée de vérifier les conditions de bénéfice du statut et d’en préciser les modalités après évaluation par le Service interministériel d’assistance technique (Siat).
Or, en un peu plus d’une décennie, le statut n’a été attribué qu’à 18 repentis et n’a bénéficié qu’à 42 personnes en comptant les proches. Les conditions d’octroi ont été estimées par la commission d’enquête sur le narcotrafic trop strictes et ne permettent pas de mobiliser suffisamment le régime dans le cadre du narcotrafic, tout particulièrement à l’encontre du « haut du spectre » des réseaux. À titre de comparaison, près de 6500 personnes ont pu bénéficier d’une protection en Italie (20 % de repentis et 80 % de proches). C’est ce constat qui a amené Éric Dupond-Moretti, l’ancien Garde des Sceaux, à annoncer, il y a un an, le renforcement du régime des collaborateurs de justice pour le rendre plus efficace et attractif.
Comment le statut de repenti a-t-il évolué ?
Dans la lignée des préconisations de la commission, le législateur combine des évolutions de fond et de forme tendant à la fois à l’élargissement du statut et la simplification de la procédure.
D’une part, le Code pénal est modifié pour permettre l’attribution du statut à davantage de personnes. En particulier, était sévèrement critiqué le fait que le meurtre (et spécialement le meurtre en bande organisée) ne figure pas dans la liste des infractions permettant l’attribution du statut, c’est désormais chose faite (article 221-5-3 du code pénal). La diminution de peine dont le repenti peut bénéficier est également révisée pour attirer davantage : elle passe de la moitié de la peine encourue aux deux tiers de la peine encourue, et lorsque la réclusion criminelle à perpétuité est encourue la peine maximale passe de 20 ans à 15 ans.
D’autre part, le Code de procédure pénale est modifié pour permettre un recours facilité au statut. Le titre de la subdivision relative aux repentis est simplifié, passant de « Protection des personnes bénéficiant d’exemptions ou de réductions de peines pour avoir permis d’éviter la réalisation d’infractions, de faire cesser ou d’atténuer le dommage causé par une infraction, ou d’identifier les auteurs ou complices d’infractions » à « Des collaborateurs de justice ». Cette subdivision est surtout enrichie de nouvelles dispositions. La nouvelle procédure donne compétence à la chambre de l’instruction pour octroyer, par ordonnance motivée, le statut de collaborateur de justice. La CNPR est désormais uniquement sollicitée au préalable pour émettre un avis. Une fois la décision devenue définitive, tous les actes de la procédure se rapportant au statut de repenti sont versés au dossier de la procédure, une plus grande transparence étant ainsi assurée. Par ailleurs, il est explicitement précisé que la juridiction de jugement est tenue, sauf révocation du statut ou éléments nouveaux depuis sa saisine, d’octroyer au collaborateur de justice le bénéfice de l’exemption ou de la diminution de peine. Le statut de collaborateur de justice peut en effet être révoqué si des éléments nouveaux font apparaître le caractère mensonger ou volontairement incomplet des déclarations ou en cas de commission d’un nouveau crime ou délit. Et si de tels éléments apparaissent après condamnation définitive, un emprisonnement d’une durée préalablement fixée peut être mis à exécution (création de l’article 132-78-1 du code pénal). Les dispositions relatives à la protection des témoins sont, par ailleurs, modifiées pour bénéficier également aux victimes d’infraction. Il peut encore être signalé que les repentis ne seront pas affectés aux nouveaux quartiers de détention de lutte contre la criminalité organisée.
Le Parlement a acté que le Gouvernement devra remettre un rapport sur l’évolution du statut de collaborateur de justice dans un délai maximum de 5 ans. Il peut déjà être présagé que le nombre de bénéficiaires aura d’ici là augmenté, mais reste à déterminer la mesure de cette hausse et son impact sur la lutte contre le narcotrafic.