Immigration : les associations bientôt écartées des centres de rétention ?
Lundi 12 mai, les sénateurs ont adopté une proposition de loi visant à confier à l’Office français de l’immigration et de l’intégration « le rôle d’information sur l’accès au droit de l’étranger » et ainsi à écarter les associations des centres de rétention administrative. Mais avec quelles conséquences ?

Par Vincent Tchen, Professeur de droit public à l’Université de Rouen
La présence d’intervenants privés dans la mise en œuvre du droit des étrangers est-elle ancienne ?
En réservant le cas des auxiliaires de justice (avocat, interprète, administrateur ad hoc), cette présence est plutôt récente sous la forme qu’on lui connaît actuellement. Elle émerge à la fin du XIXe siècle avec la création de structures patronales sous la forme de sociétés anonymes destinées à recruter des travailleurs étrangers. Cette intervention prend fin en 1945. Entre 1918 et 1945, des personnes privées assistent les réfugiés et déplacées de guerre. Après 1901, naissent également les premières associations d’assistance aux étrangers qui prolongent les réseaux d’entraides communautaires. L’obligation de vigilance mise à la charge des transporteurs internationaux à l’embarquement dans un pays tiers à l’Union européenne (moyennant de très lourdes sanctions financières) constitue un élément plus contemporain de cette imbrication.
La volonté de faire des associations des acteurs à part entière du droit des étrangers pour assurer contre rémunération des missions d’assistance juridique et humanitaires dans les zones d’attente, les centres de rétention et les structures d’accueil des candidats à l’asile est encore plus récente.
Ces actions se rejoignent sur un point : elles n’entraînent aucune dévolution d’une compétence normative, de sorte qu’on ne saurait parler de privatisation du droit des étrangers. Ainsi, les pouvoirs publics ne contreviennent pas à l’interdiction historique qui leur est faite de déléguer des compétences de police administrative à une personne privée en application d’un « principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France » que posera le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2021-940 QPC du 15 octobre 2021, modernisant à l’occasion un raisonnement posé par le Conseil d’État en 1932.
Quelles formes prennent actuellement l’action des acteurs privés ?
Pour ne rien dire des associations qui apportent une assistance aux personnes en haute mer sans contrôle des pouvoirs publics, leurs missions diffèrent radicalement selon qu’ils interviennent comme des relais contraints de l’action de l’État (transporteurs internationaux) ou qu’ils assurent des missions que l’État n’a pas souhaité assumer directement, par tactique, pour faire accepter une action policière sous couvert d’une assistance humanitaire apportée par des acteurs extérieurs et indépendants. Ces associations (11 en zone d’attente, 9 en zone de rétention) garantissent une information juridique et assistent les étrangers grâce à des permanences assurées par des représentants habilitées par l’administration.
Sous cet angle, les associations qui interviennent en zone d’attente ou en rétention confèrent un label humanitaire à l’action de l’État qui va disparaître avec la réforme qui s’annonce. Les associations concernées agissent pour satisfaire un but ultime : ne pas condamner les étrangers concernés à l’isolement administratif et à l’isolement tout court. La proposition de loi réinstaure un huis-clos tout relatif au sens où l’autorité judiciaire mais également des parlementaires, le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés et, sous certaines réserves, des journalistes peuvent visiter les centres de rétention et les zones d’attente.
Pourquoi le gouvernement, sous couvert d’une proposition de loi, souhaite-t-il mettre fin à l’intervention des associations ?
La proposition de loi punit les associations habilitées qui ne se sont jamais interdites, dans le passé, de dénoncer des carences dans l’information des étrangers placés en rétention (CE, 30 juill. 2003, n° 248084, Ordre des avocats à la cour de Paris), des irrégularités touchant à la désignation des structures intervenant en réadmission (CE ass., 16 juill. 2017, n° 291545) ou encore des restrictions injustifiées dans l’accès aux zones d’attente (CE, 6 nov. 2000, n ° 214512, MRAP). Le rapport annuel sur le fonctionnement des centres de rétention d’un collectif d’associations diffusé par le Cimade, seule source d’information fiable dans ce domaine (appelée donc à disparaître), a également pu déplaire aux autorités.
Cette attitude a plusieurs fois été reprochée par des décideurs publics qui ont feint de croire que les associations agissant dans le cadre d’un marché public étaient tenues à une obligation de neutralité. La proposition de loi conclut à sa manière des années de joutes qui ont laissé entendre que les associations poursuivaient un but plus lointain de déstabilisation de l’État sous couvert d’une assistance juridique et humanitaire. On en donnera une illustration. En visite dans la jungle de Calais où des associations ont assuré des années durant la distribution de repas et la distribution de vêtements pour combler l’inaction de l’État, le Président de la République a soutenu le 16 janvier 2018 que ces associations « encouragent ces femmes et ces hommes à rester, à s’installer dans l’illégalité, voire à passer » en Grande-Bretagne.
La remise en cause du rôle des associations a d’autant plus facilement pu prospérer que l’étatisation des garanties d’information des étrangers ne heurte a priori aucun principe juridique supérieur.Le Conseil constitutionnel et la Cour européenne des droits de l’homme n’ont notamment jamais estimé que l’information sur les voies de recours devait être apportées par des associations humanitaires pour des raisons tenant à leur indépendance. En 2003, le Conseil d’État n’avait pas non plus estimé que le dispositif d’information des étrangers en rétention ou en zone d’attente était contraire à la Constitution ou à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CE, 30 juill. 2003, n° 248084, Ordre des avocats à la cour de Paris).
Le transfert des compétences des associations à l’Office français de l’immigration et de l’intégration ne paraît également pas s’exposer à une censure, à charge pour le cadre réglementaire de garantir une information effective et une assistance (médecin, avocat, traducteur). C’est d’ailleurs peut-être là une limite de la proposition de loi qui, en renvoyant à un décret à venir, pourrait être dénoncée sur le terrain de l’incompétence négative. Pour le reste, la proposition préserve l’essentiel : l’information de l’autorité judiciaire dès le placement en rétention ou en zone d’attente. Sous cet angle, la dépendance organique de l’Office français de l’immigration et de l’intégration apparaît secondaire au sens où l’Office n’interviendra pas dans une procédure de sanction où les droits de la défense seraient en cause.