Faut-il réformer ou supprimer l’aide médicale d’Etat ?
L’existence de l’aide médicale d’Etat (AME) est un sujet politiquement sensible. Pour les uns, elle permet de procurer des soins à des personnes sans papiers vivant en France en situation de précarité ; pour les autres, elle représente un coût inutile à la charge de la Nation pour financer des soins gratuits à des bénéficiaires en situation irrégulière et qui n’ont guère cotisé. Parfois, les gouvernements tentent de réduire la prise en charge accordée ou de rendre plus draconiennes ses conditions d’admission. Et si on tentait d’y voir plus clair…
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Par Thierry Tauran, Maître de conférences à l’Université de Lorraine
Les conditions d’obtention de l’AME sont-elles strictes ?
L’AME est régie par le livre II du Code de l’action sociale et des familles (CASF, art. L. 251-1 à L. 251-3). Le demandeur doit résider en France depuis plus de 3 mois sans titre de séjour. Ses ressources ne doivent pas dépasser un certain seuil. En métropole, pour une personne seule le plafond à ne pas dépasser est de 10 339 € (pour 2 personnes 15 508 €, pour 3 personnes 18 609 €, pour 4 personnes 21 711 € et 4 135 € par personne en plus). Les enfants mineurs sont couverts par l’AME sans condition de délai.
Le formulaire de demande de l’AME est adressé soit à la caisse primaire d’assurance maladie du lieu de résidence, soit à une maison de services au public habilitée par l’organisme d’assurance maladie, soit à la structure France Services. Dans certains départements, la demande est déposée dans des agences spécifiques chargées de l’AME. Les services sociaux et les associations à but non lucratif ayant reçu un agrément du préfet du département peuvent aider le demandeur à accomplir les formalités requises. La caisse primaire se prononce dans les 2 mois suivant lademande. L’absence de réponse équivaut à un refus. En cas d’acceptation, le bénéficiaire reçoit une carte d’admission à l’AME qu’il devra présenter aux praticiens de santé lors des consultations médicales. Les personnes à la charge du demandeur (ex : conjoint ou enfant de moins de 16 ans, ou jusqu’à 20 ans en cas de poursuite d’études) peuvent également prétendre à l’AME.
La prise en charge résultant de l’AME est-elle avantageuse ?
Les soins médicaux et hospitaliers sont couverts à 100 % dans la limite des tarifs de la sécurité sociale, sans avance des honoraires. Toutefois, certains frais médicaux ne sont pas pris en charge, notamment les médicaments et les produits destinés à l’aide médicale à la procréation ou les cures thermale. Les dépenses médicales sont couvertes en intégralité en faveur des enfants mineurs. De surcroît, les personnes qui résident en France de manière irrégulière sans être titulaires de l’AME bénéficient d’une couverture des soins urgents dans les hôpitaux.
Il existe des soins non urgents qui ne sont couverts qu’au terme d’un délai de 9 mois après l’ouverture des droits à l’AME lorsque le bénéficiaire est majeur ou pour les personnes qui n’ont pas relevé de cette dernière depuis plus d’un an. Tel est le cas des prestations réalisées en établissement de santé et liées à des pathologies non sévères, lorsqu’elles ne concernent pas des traumas, fractures, brûlures, infections, hémorragies, tumeurs suspectées ou avérées, par exemple les prothèses de genou, d’épaule, de hanche, pour des affections autres que des traumatismes récents ou encore les actes réalisés par des professionnels de santé exerçant en ville et concernant les transports sanitaires et les actes de masso-kinésithérapie prescrits suite à des prestations hospitalières.
Quelles sont les pistes d’évolution de l’AME ?
Depuis plus de dix ans, les rapports parlementaires s’enchainent sur la nécessité de réformer l’AME dans une logique de rationalisation de la prise en charge ou dans le but d’en réduire le coût. Un rapport enregistré à la présidence de l’Assemblée nationale le 9 juin 2011 et réalisé au nom du comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques sur l’évaluation de l’aide médicale de l’État par les députés Claude GOASGUEN et Christophe SIRUGUE, avait dressé une liste de recommandations visant à améliorer les modalités de gestion, notamment grâce à une tarification hospitalière modifiée et à l’instauration d’une visite de prévention obligatoire.
Plus récemment, un rapport du Sénat épinglait la progression du coût de l’aide médicale d’État
Le rapporteur spécial de la commission des finances du Sénat, le centriste Vincent Delahaye, estimait alors que les montants alloués au financement de l’aide médicale d’État dans le projet de loi de finances augmentaient par rapport au montant effectivement dépensé en 2023.
Un rapport d’information n° 841 (2024-2025), déposé le 9 juillet 2025, effectue une dizaine de recommandations, notamment : « imposer une visite médicale obligatoire, dans le pays d’origine, grâce à un réseau de médecins « agréés » aux personnes souhaitant bénéficier d’un visa de longue durée en France ; actualiser chaque mois les remontées de dépenses et de bénéficiaires de l’aide médicale de l’État afin d’améliorer la prévision ; exclure du bénéfice de l’AME les personnes à qui un titre de séjour n’a pas été accordé ou a été retiré pour un motif d’ordre public ; limiter le panier de soins pris en charge, sur le modèle de la recommandation cadre de l’Allemagne, en excluant notamment les programmes de soins programmés pour les maladies chroniques, et en soumettant à autorisation préalable les traitements hospitaliers non urgents, la rééducation physique ou encore la psychothérapie (…) ».
En définitive, la réforme ou l’éventuelle suppression de l’AME demeurent des questions éminemment politiques au-delà même de leurs dimensions économiques et sociales. Créée en 1999 par le gouvernement Jospin au titre de la mise en œuvre de la couverture maladie universelle, l’AME n’a été jusqu’ici réformée que sur des aspects techniques, sans être véritablement remise en cause. Ce sont en grande partie les élections politiques futures qui détermineront son avenir.