Par La rédaction.

En quoi la « prescription glissante » pourrait intervenir dans le cadre d’une plainte pour « viols » visant le gourou Raël ?

Cela fait plus de cinquante ans qu’il prédit l’arrivée des extraterrestres. Mais Claude Vorilhon risque d’avoir des nouvelles de la justice avant de voir la couleur des petits hommes verts. Plus connu sous le surnom de Raël, ce Français de 79 ans est visé, depuis le 12 novembre, par une plainte pour viol, viol par instigation, actes de tortures ou de barbarie et abus de faiblesse, notamment. Celle-ci a été envoyée au doyen des juges d’instruction du Tribunal de Lyon (Rhône) par Lydia Hadjara.

A l’âge de 4 ans, cette dernière assure avoir été emmenée par ses parents pour participer aux rassemblements du mouvement raélien, qualifié de sectaire par un rapport parlementaire de 1995. Des rassemblements organisés pour préparer le retour sur terre des extraterrestres (Les « Elohim » dans leur jargon) et au cours desquels des abus sexuels auraient été perpétrés. Dans un livre paru en janvier 2025, Lydia Hadjara raconte ainsi avoir été « repérée » par Claude Vorilhon à l’âge de 10 ans puis, confiée à des « évêques hauts placés » chargés, selon son témoignage, de la violer et de la « préparer » pour devenir l’une des « favorites sexuelles » du gourou, à sa majorité.

« Notre plainte vise Raël mais aussi deux évêques qui ont abusé de Lydia lorsqu’elle était mineure, renseigne Aline Lebret, son avocate. Les faits se sont produits entre 1986 et 2007 en France mais aussi en Suisse et au Canada. Ils semblent vraisemblablement prescrits. C’est pourquoi nous lançons un appel afin de recueillir les témoignages d’autres victimes et de faire jouer, peut-être, la prescription glissante. »

Deux conditions techniques fixées par l’article 7-3 du Code de procédure pénale

« Instaurée par la loi du 21 avril 2021, cette innovation procédurale permet en fait de pouvoir appréhender les auteurs de viols en série en faisant une exception à la prescription habituelle », explique Julie Klein, Professeure de droit privé et sciences criminelles à l’Ecole de droit de Sciences-Po.

Ainsi, l’article 7-3 du Code de procédure pénale prévoit que « l’action publique [des viols sur mineurs] se prescrit par trente années révolues à compter de la majorité de ces derniers ». Mais précise que « s’il s’agit d’un viol, en cas de commission sur un autre mineur par la même personne, avant l’expiration de ce délai, d’un nouveau viol, d’une agression sexuelle ou d’une atteinte sexuelle, le délai de prescription de ce viol est prolongé, le cas échéant, jusqu’à la date de prescription de la nouvelle infraction. »

En clair, pour qu’une victime dite « prescrite » puisse bénéficier d’une enquête judiciaire et, le cas échéant, d’un procès, il faut réunir deux conditions : d’abord, que l’auteur des faits ait récidivé sur une seconde victime alors que la prescription n’était pas atteinte pour la première ; ensuite que la prescription ne soit pas atteinte pour la seconde lorsque la première dépose plainte.

Pas de décision, pas de jurisprudence jusqu’ici

« C’est une question un peu technique, reconnaît Julie Klein, Professeure et doyenne de l’École de droit de Sciences Po. Mais, lors de son adoption, cette disposition n’a pas trop suscité de polémiques. Sur l’imprescriptibilité des crimes sexuels, il y a eu des débats autour de la pertinence d’une preuve avancée, par exemple, des décennies après les faits supposément commis. Mais sur la prescription glissante, non. Parce qu’on estime que plusieurs témoignages visant une même personne peuvent justement renforcer la force probatoire. »

Pour autant, cette disposition du Code de procédure pénale est encore trop récente pour que l’on puisse tirer des conclusions. « A ma connaissance, il n’y a pas eu de décision rendue sur la foi de cette prescription glissante, pas de jurisprudence et évidemment, pas d’arrêt de la Cour de cassation », poursuit Julie Klein.

Déjà évoquée lors de l’instruction pour viols conduite au Tribunal de Nanterre (Hauts-de-Seine) et visant l’ancien présentateur-vedette Patrick Poivre-d’Arvor, cette disposition pourrait donc être utilisée dans le cadre de cette plainte visant Raël. A condition que d’autres plaignantes se manifestent auprès de la justice. Et qu’elles remplissent les deux conditions fixées par les textes.