Que nous apprend le feuilleton contentieux de l’A69 ?
Le parcours juridictionnel de l'A69 est emblématique de l'insécurité juridique qui pèse sur des opérations susceptibles d'avoir une incidence sur des espèces protégées. Fabrice Melleray déroule les étapes d'un dossier type dans la chronique du Club des juristes dans Les Echos.
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Par Fabrice Melleray, Professeur des universités à l’école de droit de Sciences Po et expert du Club des juristes.
Chronique publiée dans Les Echos.
Le parcours juridictionnel de l’autoroute A69 est loin d’être terminé, alors même que les travaux se poursuivent et que l’ouverture à la circulation est annoncée pour l’automne prochain. Les magistrats de la cour administrative d’appel de Toulouse vont statuer dans les prochaines semaines sur la légalité des autorisations environnementales délivrées pour permettre la réalisation de cette liaison autoroutière.
Nul n’ignore l’âpreté du débat, entre ceux qui espèrent qu’elle permettra de désenclaver Castres et le sud du Tarn, et ceux qui soutiennent qu’elle serait anachronique. Il est probable que cet arrêt fera, quel que soit son sens, l’objet d’un pourvoi en cassation devant le Conseil d’Etat. La détermination des parties au litige, ainsi que la nature des intérêts en cause, devrait les conduire à user de toutes les voies de droit envisageables.
Le dossier type
On voudrait ici non pas s’interroger sur les chances de succès de ces contentieux mais plutôt montrer en quoi ils sont emblématiques de l’insécurité juridique qui pèse sur des opérations susceptibles d’avoir une incidence sur des espèces protégées. Déroulons en effet les principales étapes d’un dossier type.
Les pouvoirs publics décident de la construction d’un équipement. Celle-ci impose de procéder à des expropriations. Le juge administratif peut alors être saisi de la question de la légalité de la déclaration d’utilité publique de cette opération d’expropriation. Il opère, dans ce cadre, un bilan dit « coûts-avantages ». Il vérifie si les atteintes à la propriété privée, le coût financier ainsi que les éventuels inconvénients d’ordre social ou l’atteinte à d’autres intérêts publics ne sont pas excessifs eu égard à ses intérêts.
Fort logiquement, les incidences environnementales sont intégrées à ce bilan et sont appréciées à cette occasion. Puis, une fois l’utilité publique du projet validée par le juge administratif et les expropriations opérées, les travaux peuvent commencer. On découvre alors, en amont ou en cours de chantier, que la construction peut détruire ou même simplement perturber une espèce protégée. Il faut dès lors obtenir une dérogation dite espèces protégées.
Embûches supplémentaires
Le mode d’emploi de cette dérogation a été précisé par une jurisprudence abondante du Conseil d’Etat. Ses modalités de mise en oeuvre ont été modifiées à trois reprises par le législateur entre 2023 et 2025, ce qui témoigne, s’il en était besoin, de la difficulté à trouver une solution permettant de concilier la protection de la nature et la sécurisation des porteurs de projets.
Faut-il rappeler que la prévisibilité du droit et la stabilité des situations juridiques sont des composantes essentielles de la sécurité juridique ?
L’un des principaux enjeux de la question réside dans l’identification d’éventuelles raisons impératives d’intérêt public majeur (RIIPM). Conscient de la difficulté à satisfaire cette condition, le législateur a, dans certains cas, instauré une présomption de RIIPM. Il a également cherché à en réduire le champ d’application. Toutefois, les notions d’utilité publique et de RIIPM ne se recouvrent pas : il est donc possible, ce qui peut sembler difficilement compréhensible pour le profane, qu’un juge reconnaisse successivement qu’un projet est d’utilité publique tout en estimant qu’il ne répond pas aux critères d’une RIIPM.
Si l’on ajoute à cela que la latitude d’action des autorités françaises est fortement encadrée par le droit de l’Union européenne et la jurisprudence de la Cour de justice, on ne peut que constater la difficulté à lever toutes les embûches auxquelles sont confrontés les projets publics et, a fortiori, privés. Faut-il pourtant rappeler que la prévisibilité du droit et la stabilité des situations juridiques sont des composantes essentielles de la sécurité juridique ?
Or, cette insécurité juridique entraîne un coût économique et financier que les porteurs de projets sont loin de pouvoir toujours assumer. Elle engendre des charges supplémentaires et complique singulièrement le financement et donc la viabilité de projets qui sont alors soit retardés et plus coûteux, soit abandonnés.