Viol en Belgique : pourquoi l’auteur est condamné mais sa peine suspendue ?
Le 1er avril 2025, le Tribunal correctionnel de Leuven (province du Brabant flamand) a prononcé, à l’encontre d’un jeune homme de 24 ans reconnu coupable de faits de viol et d’atteinte à l’intégrité sexuelle sur une étudiante, une suspension du prononcé de la condamnation avec un délai d’épreuve de cinq ans. Une suspension de peine qui interroge.
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Par Christine Guillain, Professeure à l’UCLouvain Saint-Louis Bruxelles
Quels sont les faits de l’affaire ?
Le Tribunal correctionnel de Leuven s’est prononcé mardi 1er avril 2025 dans le cadre d’une affaire mettant en cause un étudiant, jugé pour viol et atteinte à l’intégrité sexuelle, pour des faits survenus à l’issue d’une soirée étudiante d’Halloween.
Il ressort des éléments du dossier que la victime se trouvait dans un état d’ébriété avancé. Elle a notamment précisé, au cours de son audition, qu’elle ne se souvenait plus de ce qui s’était passé au cours de cette nuit et qu’elle s’était réveillée nue, le matin, à côté d’une personne inconnue, également nue, dans un endroit inconnu.
Que dit la loi sur le viol en Belgique ?
Le Tribunal de Leuven souligne que la victime, vu son état, ne pouvait pas consentir aux relations sexuelles, ce que le prévenu, également sous l’emprise de l’alcool, ne conteste pas.
Dans sa motivation, le tribunal souligne la gravité des faits et leur caractère socialement inacceptable, ajoutant que « le prévenu a fait preuve d’un manque de respect pour l’intégrité physique, psychologique et sexuelle de la victime et pour les conséquences que ses actes ont pu avoir sur son bien-être, de sorte qu’il a indéniablement dépassé les limites de l’admissible » (traduction libre du néerlandais).
L’ infraction de viol constitue un crime puni d’une peine de réclusion de dix ans à quinze ans tandis que l’atteinte à l’intégrité sexuelle constitue un délit puni d’une peine d’emprisonnement de six mois à cinq ans. Si l’ensemble des faits ont été déférés au tribunal correctionnel et requalifiés en délits, il ne faut pas y voir une mesure de clémence, la correctionnalisation des crimes étant la règle en Belgique afin de décharger la cour d’assises.
L’infraction de viol suppose par hypothèse l’absence de consentement dans le chef de la victime, le Code pénal belge précisant que le consentement doit avoir été donné librement, qu’il ne peut être déduit de la simple absence de résistance de la victime, outre qu’il peut être retiré à tout moment avant ou pendant l’acte à caractère sexuel.
Si la presse s’est longuement attardée sur la sanction prononcée et la motivation du jugement, elle passe sous silence le changement législatif – dont le jugement est une parfaite illustration – opéré par la loi du 21 mars 2022 modifiant le Code pénal en ce qui concerne le droit pénal sexuel quant à la définition du consentement.
En effet, selon le nouvel article 417/5 du Code pénal belge, il ne peut y avoir consentement « lorsque l’acte à caractère sexuel a été commis en profitant de la situation de vulnérabilité de la victime due notamment à un état de peur, à l’influence de l’alcool, de stupéfiants, de substances psychotropes ou de toute autre substance ayant un effet similaire, à une maladie ou à une situation de handicap, altérant le libre arbitre ».
Selon les travaux préparatoires de la loi, il ne suffit pas que la victime se soit trouvée dans une situation de vulnérabilité particulière ou sous l’influence de certaines substances pour pouvoir parler d’actes à caractère sexuel non consentis. Encore faut-il démontrer que l’auteur a abusé de cette situation de vulnérabilité et que la substance ait altéré le libre arbitre de la victime, de sorte qu’elle a été empêchée de consentir ou de s’opposer à l’acte.
Reconnu coupable de faits de viol et d’atteinte à l’intégrité sexuelle, le prévenu s’est vu octroyer la suspension du prononcé avec un délai d’épreuve de cinq ans. Le tribunal correctionnel justifie l’octroi de cette mesure eu égard aux faits commis et à l’absence d’antécédents judiciaires du prévenu. Il met également en avant son jeune âge, les regrets exprimés à l’audience ainsi que sa personnalité favorable, le prévenu, qui poursuit un master en gynécologie obstétrique, étant « un jeune homme talentueux et engagé, très apprécié tant sur le plan privé que professionnel » (traduction libre).
Qu’est-ce qu’une suspension du prononcé et pourquoi le Tribunal de Leuven y a-t-il eu recours ?
La suspension du prononcé est une mesure consistant à reconnaître la culpabilité du prévenu sans prononcer de peine. La suspension du prononcé n’est cependant pas synonyme d’impunité puisque le prévenu est soumis à un délai d’épreuve de cinq ans, au cours duquel il doit respecter un certain nombre de conditions générales. Autrement dit, la mesure peut être révoquée en cas de condamnation pour de nouveaux faits commis pendant la période probatoire. La mesure est par ailleurs inscrite au casier judiciaire à disposition des autorités judiciaires, même si elle n’est pas mentionnée sur les extraits délivrés aux personnes condamnées.
La suspension du prononcé est une mesure qui vise à réduire les inconvénients inhérents liés au prononcé d’une condamnation (stigmatisation, désocialisation, etc.) et à favoriser la réinsertion du prévenu tout en évitant la récidive.
Le pouvoir d’individualisation judiciaire laisse au juge le choix de la peine et de sa sévérité, en fonction des circonstances du cas d’espèce et de la personnalité du délinquant. Ce choix est cependant encadré par l’obligation de motivation qui s’impose au juge.
Si la motivation du tribunal correctionnel entend rencontrer les conditions légales de la suspension du prononcé, elle pêche par son caractère stéréotypé et la maladresse de ses propos, en ce qu’elle laisse entendre, qu’à défaut d’insertion socio-professionnelle et de talent, la mesure n’aurait pas pu être octroyée.
On regrettera le déferlement médiatique qui a entouré cette affaire, ainsi que la précipitation politique (un député fédéral a annoncé le dépôt d’une proposition de loi afin de « mettre fin à l’impunité complète des coupables de viol »), comme on déplorera la communication tardive et lacunaire des autorités judiciaires. Certes, le parquet de Leuven a publié un communiqué de presse (pour annoncer qu’il interjetait appel de la décision qui sera dès lors rejugée par la cour d’appel de Bruxelles) et le jugement a été mis en ligne sur internet, mais qui l’a lu ? On soulignera à ce propos que le Conseil supérieur de la Justice a formulé des recommandations en 2024 afin d’améliorer la transparence et l’efficacité de la communication judiciaire vers les médias et le grand public, en soulignant « qu’il est important de maintenir l’intégrité de l’information relayée au public en veillant que les articles et reportages reflètent fidèlement les nuances et les complexités des procédures judiciaires et des décisions de justice ».
Ce déficit communicationnel – qui alimente une certaine presse à scandale comme elle nourrit les réseaux sociaux – ne peut qu’avoir un impact négatif sur les victimes d’infractions sexuelles et leur ressenti quant au traitement judiciaire de leurs affaires.