Pourquoi l’ancien directeur du FBI, James Comey, a-t-il été inculpé ?
Le 25 septembre 2025, un acte d’accusation pénale a été déposé contre l’ancien directeur du FBI, James Comey, longtemps désigné par le président Trump comme l’un de ses « ennemis ». Quelques semaines plus tard, c’est la procureure générale de New York, Letitia James, qui se retrouve à son tour inculpée, à l’initiative du président américain. Que révèlent ces poursuites successives sur l’état de la justice pénale, et la démocratie, aux États-Unis ?
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Par Frederick T. Davis, ancien procureur fédéral et membre des barreaux de New York et de Paris
Que révèle cette poursuite à l’encontre de l’ancien directeur du FBI ?
La procédure ayant conduit à cet acte d’accusation s’est révélée pour le moins inhabituelle, au point d’enfreindre plusieurs principes fondamentaux du droit.
Ancien procureur fédéral reconnu, James Comey a dirigé le FBI de 2013 à 2017. À la veille de l’élection présidentielle de 2016, il avait publiquement évoqué l’utilisation par Hillary Clinton d’un serveur de messagerie privé, des déclarations perçues par beaucoup comme ayant favorisé l’élection de Donald Trump. Pourtant, quelques mois plus tard, Trump finit par ne plus lui faire confiance, en raison de sa volonté de préserver l’indépendance du FBI, et le limogea brutalement en mai 2017. Depuis, James Comey s’était consacré à l’écriture et à l’enseignement.
Réélu en janvier 2025, Donald Trump a redoublé d’acharnement contre ses adversaires politiques, exigeant pour certains des poursuites pénales. Parmi ses cibles : Letitia James, procureure générale de l’État de New York à l’origine d’une action civile pour fraude contre Trump et ses entreprises ; Adam Schiff, sénateur qui avait joué un rôle clé dans sa procédure d’impeachment ; et plus récemment George Soros, philanthrope engagé dans les causes progressistes.
La pression sur James Comey s’est accentuée en septembre 2025, alors que le délai de prescription pour une éventuelle accusation à son encontre arrivait à échéance le 30 du mois. Le procureur fédéral en charge de l’enquête en Virginie, après avoir jugé les preuves insuffisantes, a préféré démissionner face aux pressions de Trump. Ce dernier a alors publiquement sommé sa procureure générale, Pam Bondi, de procéder à l’inculpation. Le 22 septembre, il nomma Lindsey Halligan à la tête du parquet de Virginie. Ancienne reine de beauté et avocate en assurance en Floride, proche de Trump, elle n’avait littéralement aucune expérience en tant que procureure ou en matière de procédure pénale. Trois jours plus tard, elle signait l’acte d’accusation contre James Comey.
Quelles sont les charges retenues contre James Comey et comment la procédure va-t-elle se dérouler ?
L’acte d’accusation est extrêmement court, lacunaire et vague. Le chef d’accusation central est que, lors d’une audition devant une commission du Sénat le 30 septembre 2020, Comey aurait fait une déclaration « fausse, fictive et frauduleuse », en violation du 18 USC § 1001. Le seul détail mentionné est que Comey aurait affirmé « n’avoir pas autorisé quelqu’un d’autre au FBI à être une source anonyme dans des articles de presse » concernant une enquête non spécifiée, et que cette affirmation était fausse parce qu’« il avait en réalité autorisé [une “Personne 3” non nommée] à servir de source anonyme… ». Un deuxième chef d’accusation affirme que cette conduite constituait une « obstruction à la justice » d’une enquête du Congrès en violation du 18 USC § 1505.
Cet acte d’accusation a été rédigé à la hâte et avec négligence, sans exposer de faits qui, même s’ils étaient prouvés, constitueraient une infraction. Le fait que Comey ait « divulgué » des informations à la presse – ce qu’il était en droit de faire en tant que directeur – est connu depuis au moins juin 2017, date à laquelle il a témoigné à ce sujet, et a déjà fait l’objet d’enquêtes internes du FBI ainsi que de l’attention de la presse. Les allégations dérisoires et absurdement vagues de l’acte d’accusation actuel semblent d’ailleurs faire référence à plusieurs épisodes distincts et déjà bien connus, mais lesquels ? Il est tout simplement impossible de comprendre précisément ce qui est reproché à Comey.
La probabilité l’ancien directeur du FBI soit condamné sur la base de cet acte d’accusation est extrêmement faible. L’affaire des « fuites » est ancienne et a déjà été examinée au fond. Il semble très improbable que son témoignage de septembre 2020 ait été mensonger ou qu’il ait induit le Congrès en erreur. Il s’agit plutôt du meilleur argument qu’une procureure, nommée à des fins politiques, a pu formuler à la dernière minute sous la pression du Président, alors que le temps venait à manquer.
Comey, réputé pour sa rigueur et son professionnalisme, sera défendu par une équipe chevronnée, à l’inverse, l’équipe de l’accusation paraît manquer de compétence et de crédibilité.
Le fait que la poursuite se termine mal, voire de manière embarrassante, pour l’accusation ne signifie ni qu’elle sera sans coût pour Comey, ni que l’affaire sera désavantageuse pour l’agenda politique de Trump. Le système de justice pénale américain confère des pouvoirs considérables aux procureurs, en s’appuyant sur leur bonne foi et leurs principes déontologiques et professionnels pour poursuivre les individus contre lesquels ils disposent de preuves solides et dans l’intérêt de la justice. Ce système offre étonnamment peu de garde-fous contre un procureur qui refuse de suivre ces principes, ce qui est clairement le cas ici. Les avocats de Comey contesteront vigoureusement les accusations actuelles et plaideront qu’elles sont motivées politiquement, mais en raison de la forte présomption de régularité attachée aux décisions des procureurs, il est possible, mais très peu probable, que le juge rejette l’acte d’accusation sur une telle base. Le scénario le plus probable est que l’affaire se jouera lors d’un procès. Ce qui prendra beaucoup de temps, pendant lequel Trump continuera sa bataille.
Que faut-il en déduire de la justice pénale, et de la démocratie, aujourd’hui en Amérique ?
La grossièreté flagrante des ordres explicites de Trump enjoignant aux officiers de la justice de poursuivre ses ennemis politiques, et ses nominations d’alliés inexpérimentés pour ce faire lorsque des professionnels de principe refusent, constituent une attaque contre le système de justice pénale des États-Unis. Comment ce système réagira-t-il ? Lentement et méthodiquement, car l’État de droit est, par essence, lent et méthodique. Avant qu’une décision définitive ne soit rendue dans cette affaire, la procédure n’aura aucun effet dissuasif sur Trump. Si un juge – ou, en fin de compte, un jury – devait statuer en faveur de Comey, Trump n’hésiterait pas à les qualifier de radicaux, comme il a déjà commencé à le faire à l’égard du juge auquel l’affaire a été attribuée au hasard. Pendant ce temps, au prix d’un lourd tribut financier et émotionnel pour Comey, Trump continuera de s’en prendre à d’autres adversaires, en attaquant les universités, les avocats, les institutions culturelles et toute personne qu’il considère comme une menace.
Le système de justice pénale ne sauvera pas l’Amérique de Trump. La justice américaine a en grande partie échoué à le traduire en justice malgré des preuves accablantes de sa culpabilité concernant le 6 janvier et la rétention de documents classifiés. Ses poursuites contre ses ennemis ne se solderont probablement pas par des condamnations, mais contribueront néanmoins à son agenda politique. Ce combat est asymétrique : Trump peut faire ce qu’il veut en ignorance de toutes procédures, ses opposants attachés à la règle de droit les respectent.
Dans les années 1950, Joseph McCarthy et, dans les années 1970, Richard Nixon ont représenté des menaces contre la démocratie, importantes mais bien moindres que celles de Trump. Ils ont finalement échoué grâce à trois éléments : le Parti démocrate a développé et communiqué une opposition cohérente, les tribunaux ont statué de manière constante contre eux (notamment une décision unanime de la Cour suprême ordonnant à Nixon de remettre des informations compromettantes qui ont conduit à sa démission), et des membres du Parti républicain les ont finalement privés de l’oxygène politique dont ils avaient besoin pour continuer. Rien de tel ne se produit aujourd’hui, et tant que cela n’arrivera pas, Trump continuera son attaque contre la démocratie avec des conséquences dévastatrices.