Divulgation du dossier Epstein : quelles conséquences pour Donald Trump ?
Donald Trump a promulgué, mercredi 19 novembre, la loi permettant la divulgation du dossier Epstein alors qu’il y était fermement opposé. Une décision dont l’impact reste encore à déterminer.
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Par Benjamin Fiorini, Maître de conférences en droit privé et sciences criminelles à l’Université de Paris 8 Vincennes et spécialiste de droit pénal comparé France/ Etats-Unis.
Pourquoi Trump a-t-il signé la loi permettant la divulgation du dossier Epstein ?
Le 18 novembre, la Chambre des représentants a voté l’Epstein Files Transparency Act à une écrasante majorité (427 voix contre 1). Le texte a ensuite été approuvé sans débat par le Sénat à l’unanimité. Selon ses dispositions, le ministère de la Justice dispose d’un délai de trente jours pour rendre publics, dans un format téléchargeable et consultable, tous les documents non classifiés en lien avec l’enquête portant sur le financier Jeffrey Epstein, y compris les investigations portant sur son décès en prison
Après plusieurs mois d’opposition explicite à la divulgation intégrale des documents relatifs à l’affaire Epstein, le président Trump a finalement choisi, le 19 novembre, de faire volte-face et de promulguer cette loi. Un revirement qui s’explique par au moins trois raisons.
Premièrement, Trump était confronté à une pression politique particulièrement forte, dans la mesure où les élus républicains au Congrès ont presque unanimement voté en faveur de ce texte de transparence. Dans ce contexte, s’opposer à la promulgation du texte aurait été périlleux, le président américain risquant de se couper de ses propres alliés, en particulier du mouvement MAGA.
Deuxièmement, en termes de communication, Trump a, comme d’ordinaire, opté pour une stratégie offensive : tout en soulignant les vertus de la transparence qui permettront, selon lui, de le laver de tous soupçons, il a souligné publiquement que cette divulgation pourrait mettre en difficulté des figures du Parti démocrate – notamment « Bill » Clinton.
Troisièmement, comme nous allons le voir en détail, le texte voté par le Congrès comporte une série d’exceptions qui permettront de retarder, voire d’empêcher la révélation de certains éléments du dossier potentiellement explosifs pour Donald Trump.
Trump peut-il encore limiter les révélations ?
La promulgation de la loi ne signifie pas la divulgation automatique et complète de l’ensemble des documents liés à Epstein, loin de là. Trump conserve, directement et indirectement, plusieurs moyens juridiques et administratifs pour en limiter l’étendue.
Certes, la section 2 (b) de la loi interdit la dissimulation de certains éléments du dossier au motif qu’ils seraient « embarrassants » ou « politiquement sensibles. »
Néanmoins, la section 2 (c) du texte prévoit simultanément des dérogations substantielles permettant à l’Attorney General (sorte d’équivalent du garde des Sceaux, à la tête du Department of Justice fédéral) d’empêcher la divulgation de certains éléments. Plusieurs documents sont concernés : ceux contenant des informations personnelles sur les victimes dont la révélation porterait atteinte à leur vie privée ; ceux qui concerneraient des investigations fédérales ou des poursuites en cours ; ou encore ceux qui ont été classifiés par le pouvoir exécutif au motif que leur divulgation porterait atteinte à la défense nationale ou à la politique étrangère. Tous les documents de cette nature pourront faire l’objet d’occultations substantielles, l’Attorney General pouvant soit les retenir, soit procéder à leur caviardage.
Il est évident que ces exceptions constituent un obstacle majeur à une parfaite transparence du dossier. En effet, l’administration dispose par ce biais d’une importante marge d’interprétation pour appliquer les exceptions relevant de son appréciation. L’Attorney General Pam Bondi, personnalité nommée par Trump, disposera ainsi d’un pouvoir déterminant pour décider quels passages seront communiqués au public et quels éléments seront censurés. Bien évidemment, il est parfaitement envisageable que dans les critères qui guideront ses arbitrages, le souci de préserver les intérêts politiques de Trump ne soit pas absent.
Quelles pourraient être les conséquences politiques et judiciaires pour Trump ?
Les conséquences de la divulgation du dossier Epstein pour Donald Trump dépendront de la nature exacte des documents publiés. Sur le plan politique, Trump s’expose à un risque d’érosion de son image à deux égards : d’une part, si sa volonté affichée de transparence était contredite par la censure de nombreux documents contenus dans le dossier, et d’autre part, si les éléments révélés s’avéraient en contradiction avec ses affirmations antérieures.
L’autre question qui se pose est de savoir si les révélations contenues dans le dossier Epstein pourraient entraîner la destitution du président Trump, dans le cadre d’une procédure d’impeachment. D’après l’Article II, Section 4 de la Constitution américaine, le président peut être destitué « sur mise en accusation et condamnation pour trahison, corruption ou autres crimes et délits » Pour être mise en œuvre, il faut que la Chambre des représentants enclenche une procédure d’impeachment à la majorité simple, sur la base d’allégations considérées comme suffisamment sérieuses. Une fois cette étape franchie (qui vaut mise en accusation), la procédure se poursuit devant le Sénat qui joue alors le rôle de juge. Pour que le président soit destitué, deux tiers des sénateurs présents doivent se prononcer en ce sens, ce qui implique en pratique un accord bipartisan extrêmement difficile à atteindre.
Ainsi, une destitution de Trump ne serait envisageable juridiquement que si les documents publiés révélaient son implication dans des crimes ou des délits, ou encore une tentative d’entraver l’action de la justice. Même si tel était le cas, la nature essentiellement politique de la procédure d’impeachment rendrait une destitution très improbable, Trump pouvant continuer à s’appuyer sur le soutien de la très grande majorité des élus de son camp. Pour rappel, deux procédures d’impeachment ont déjà été initiées contre lui – la première en 2019 pour des faits d’abus de pouvoir et d’obstruction au Congrès, la seconde en 2021 en raison de son implication dans l’attaque du Capitole –, lesquelles se sont soldées par deux acquittements par le Sénat.