Quel cap pour la nouvelle PAC ?
Comme tous les sept ans, la Commission européenne a proposé son projet de budget à long terme, appelé « cadre financier pluriannuel », pour les années 2028 à 2034. Le projet est ambitieux sur le papier, tout en comportant une baisse d’environ 30 % en prix réels de 2025 des crédits de la politique agricole commune. Son adoption sera vraisemblablement semée d’embûches et le produit d’une bataille technique, mais également hautement politique.
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Par Yves Petit, Professeur à l’Université de Lorraine, Directeur du Centre européen universitaire de Nancy
Quelle sera la place de l’agriculture dans le budget à long terme 2028-2034 ?
La Commission européenne prévoit un montant de 2 000 milliards d’euros pour le cadre financier pluriannuel (CFP) 2028-2034. En termes de Revenu national brut (RNB), ce budget à long terme représente 1,26 % contre 1,13 % pour le CFP actuel 2021-2027. Cette augmentation est quelque peu factice car, en tenant compte du remboursement à partir de 2028 d’un montant d’environ 25 milliards d’euros par an (principal et intérêts) des crédits du plan de relance Next Generation EU de 750 milliards d’euros adopté après la pandémie de Covid 19, le pourcentage est seulement de 1,15. La part prévue pour la PAC est de 300 milliards d’euros (contre 387 pour les années 2021-2027), ce qui représente 80 % du budget actuel et est exclusivement consacré au soutien au revenu des agriculteurs européens. D’après le commissaire Hansen, chargé de l’agriculture, cette somme représentant un minimum pourra être complétée par d’autres crédits européens et par les États membres, via le canal des nouveaux plans de partenariat nationaux et régionaux.
Il s’avère effectivement que le CFP 2028-2034 va reposer sur une nouvelle architecture s’articulant autour de seulement trois rubriques, plus une quatrième consacrée de manière classique à l’administration de l’Union européenne. Il va donc comprendre trois piliers. Le premier financera les plans de partenariat nationaux et régionaux (1 000 milliards d’euros). Le deuxième s’apparentera à un fonds pour la compétitivité disposant de 450 milliards d’euros. Le troisième pilier sera un fonds pour une Europe mondiale d’un montant de 215 milliards d’euros. Le remaniement complet du CFP a également pour objet d’introduire davantage de flexibilité, en raison des multiples crises que l’UE a dû affronter (Covid 19 ; agression de l’Ukraine par la Russie, différends commerciaux avec les États-Unis et la Chine, …).
Le premier pilier repose sur une (méga)fusion de la PAC et de la politique de cohésion de l’Union, chaque État membre devant élaborer un plan de partenariat national et régional. Il prévoira des réformes et sera évalué par la Commission européenne. Il est important de rappeler qu’actuellement la PAC et la politique de cohésion représentent chacune environ un tiers du budget de l’UE. Afin d’améliorer les performances de l’économie européenne, et éviter que l’UE ne soit distancée par les Etats-Unis et la Chine, le deuxième pilier peut être présenté comme un « Fonds Draghi » orienté vers le renforcement du marché unique européen, le rapport de l’ancien Président de la Banque centrale européenne de l’automne 2024 ayant mis en évidence la nécessité d’améliorer la compétitivité au sein de l’UE. Le troisième pilier est consacré à l’action extérieure de l’UE, sachant qu’une « Réserve pour l’Ukraine », supplémentaire et d’un montant de 100 milliards d’euros, sera destinée à soutenir sa reconstruction.
Quels défis soulève la réforme de la PAC ?
Plusieurs évolutions doivent être présentées pour avoir une vision de la future PAC qui, comme l’a précisé le commissaire Hansen, conserve toute sa « boîte à outils ». La Commission souhaite davantage de flexibilité pour le futur CFP et entend mieux cibler le soutien public que représente la PAC. A ce titre, elle propose notamment un mécanisme de dégressivité et de plafonnement des paiements perçus par les agriculteurs. Le mécanisme est le suivant : réduction de 25 % des aides au-delà de 20 000 euros, de 50 % entre 50 000 et 75 000 euros, de 75 % au-delà de 75 000 euros et introduction d’un plafond de 100 000 euros par exploitation agricole.
La « boîte à outils » comporte les types de paiements suivants : soutien au revenu basé sur la surface, paiement forfaitaire annuel pour les petits agriculteurs (3 000 euros maximum), paiement pour contraintes naturelles ou spécifiques (zones défavorisées, zones de montagne), soutien couplé dans certains secteurs (lait, viandes bovine, ovine et caprine), actions agroenvironnementales et climatiques (engagements volontaires dans l’agriculture biologique, rotation des cultures, réduction des engrais), soutien aux investissements et à la gestion des risques. L’aide aux jeunes agriculteurs sera renforcée grâce à un pack de démarrage. L’éligibilité aux paiements reposera sur un nouveau système de conditionnalité « Farm Stewardship ». Il prévoit des exigences légales en matière d’environnement, de santé publique, de bien-être animal et de sécurité alimentaire. Les États membres devront définir des pratiques pour préserver les prairies permanentes, lutter contre l’érosion ou protéger les cours d’eau.
Le point le plus controversé et critiqué est celui prévoyant l’intégration de l’agriculture dans un grand fonds unique regroupant principalement la PAC et la politique de cohésion, ce qui entraîne la fin d’une PAC reposant sur deux piliers : un premier pilier « politique des marchés » et un second « politique de développement rural ». Les critiques sont émises tant par le Parlement européen que par les États membres ou les organisations et syndicats agricoles (FNSEA, COPA-Cogeca). La fusion de la PAC dans un fonds global implique-t-elle une moindre importance de l’agriculture dans le budget à long terme de l’UE, cette dilution faisant craindre des financements moins importants et plus incertains, ainsi que la perte de la spécificité de la PAC ? La dégressivité et le plafonnement ne vont-ils pas fragiliser le modèle agricole européen, qui demeure avant tout familial ? L’élaboration de 27 partenariats nationaux et régionaux (des agendas nationaux différents pouvant entrer en conflit ?) n’est-elle pas synonyme d’une nationalisation du budget européen et d’une renationalisation de la PAC ? Autant de questions qui invitent à s’interroger sur l’avenir de cette politique emblématique de l’UE.
La fin de la seule vraie politique intégrée de l’Union européenne ?
Sans exagération, il est justifié de se demander si la Commission n’envisage pas de démanteler les fondements de la PAC et, plus grave, si l’agriculture reste une priorité pour l’UE. En laissant chacun des 27 États membres élaborer son propre plan national et régional, n’est-il pas possible de redouter une fragmentation de la politique agricole commune ? Effectivement, avec un fonds unique, rien ne garantit que la PAC conserve son caractère commun. De plus, la renationalisation des financements entraînée par les 27 plans de partenariat nationaux et régionaux est vraisemblablement préjudiciable au caractère commun de la PAC.
La Ministre de l’agriculture française, Annie Genevard, a ainsi « dénoncé les risques pesant sur la politique commune la plus aboutie en Europe à un moment où il n’aura sans doute jamais été aussi impérieux de s’unir pour faire front face aux menaces. La souveraineté alimentaire de l’Europe mérite mieux ». La PAC doit certainement demeurer une politique européenne autonome, dans sa gouvernance et ses instruments. Faute de quoi, une politique agricole à la carte et « nationalisée » selon les priorités de chacun des 27 États membres n’est plus une utopie.
Si la PAC doit être simplifiée et plus flexible, bref plus moderne, sans budget agricole aisément identifiable et lisible, par conséquent sans une politique réellement commune, l’intégration européenne risque d’être mise à mal. La perte de la seule et unique politique vraiment intégrée de l’UE pourrait se traduire par un affaiblissement politique du projet européen, confronté par ailleurs à de multiples tensions géopolitiques.