Budget 2026 : une « année blanche » pour éviter un carton rouge ?
Face à un déficit et une dette publique non maîtrisés, des voix s’élèvent, y compris et surtout au sein du Gouvernement, pour faire de 2026 une « année blanche ». Décryptage.
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Par Aurélien Baudu, Professeur à l’Université de Lille et Xavier Cabannes, Professeur à l’Université Paris Cité.
Une année budgétaire « blanche » : de quoi parle-ton exactement ?
La dernière fois que l’on a entendu parler de ce concept, c’était en 2018, mais dans un tout autre contexte. Avec la mise en place du prélèvement à la source au 1er décembre 2019, l’impôt sur le revenu normalement dû pour les revenus courants de 2018 n’a pas été prélevé. Concrètement, les revenus de 2017 ont été imposés en 2018, ceux de 2019 ont été imposés en 2019 et les revenus courants de 2018, eux, n’ont pas été imposés. C’est ce que l’on a appelé « l’année fiscale blanche », une mesure perçue comme une bonne nouvelle pour les contribuables. L’hypothèse évoquée pour 2026, d’une « année budgétaire blanche », risque d’être une potion assez amère pour le citoyen.
La loi de programmation des finances publiques pour 2023 à 2027 (L. du 18 déc. 2023) prévoyait un déficit public équivalent à 4,4 % du PIB en 2024, 3,7 % en 2025, 3,2 % en 2026 et enfin 2,7 % en 2027. Mais le déficit public pour 2024 s’est finalement élevé à 5,8 % du PIB, et le déficit public pour 2025 est attendu à 5,4 % du PIB. Bien loin donc des projections !
Pour 2026, le Gouvernement fixe désormais un objectif de 4,6 % du PIB, ce qui suppose à la fois de dégager de nouvelles recettes et de réaliser des économies budgétaires. Avec un taux de prélèvements obligatoires s’élevant à 45,6 % du PIB en 2023 (INSEE, 21 mai 2025), la France reste nettement au-dessus de l’Allemagne, dont le niveau, à 40,3 %, correspond à la moyenne européenne. Dans ce contexte, l’option de réaliser des économies budgétaires, plutôt que d’alourdir encore la pression fiscale, semble progressivement s’imposer. C’est dans cet esprit que le Premier ministre a exprimé sa volonté de dégager 40 milliards d’euros d’économies budgétaires, d’où l’évocation d’une éventuelle année blanche.
D’un point de vue budgétaire, cela reviendrait à reconduire en 2026 le niveau des dépenses prévu pour 2025, sans tenir compte de l’inflation. Ce choix pourrait aussi, selon les décisions du Gouvernement puis du Parlement, affecter les recettes fiscales, notamment l’impôt sur le revenu, si, par exemple, le barème venait à être gelé. Concrètement, la hausse automatique des dépenses liée à l’inflation serait interrompue. Les pensions de retraite et les prestations sociales pourraient ainsi ne pas être revalorisées, tout comme certaines dotations de l’État aux collectivités territoriales. De même, pour contenir la dépense publique, les créations de postes dans la fonction publique pourraient être suspendues. Les nouveaux investissements, ainsi que certaines dépenses de fonctionnement, pourraient également être limités au niveau de 2025. L’objectif étant de faire « tourner » budgétairement l’État, ainsi qu’en partie les collectivités territoriales et la Sécurité sociale, avec les mêmes moyens budgétaires qu’en 2025 non corrigés de l’inflation. Pour plusieurs membres du Gouvernement, il s’agirait d’une forme de « pause » budgétaire.
D’autre part, le choix de ne pas tenir compte de l’inflation pourrait avoir, au moins à court terme, un effet positif sur les recettes fiscales, notamment sur l’impôt sur le revenu. Son régime juridique comprend de nombreuses dispositions techniques chiffrées (barème de l’impôt, minimas, plafonds, seuils, limites d’exonérations, abattements…), régulièrement révisées à la hausse pour tenir compte de l’inflation, sans que ces ajustements soient nécessairement équivalents à l’inflation. Parmi tous ces éléments, le barème de l’impôt, au cœur des débats lors de la dernière loi spéciale, est le plus déterminant. Les tranches sont en principe relevées pour suivre l’inflation, mais pas systématiquement chaque année. Ce relèvement n’a pas à être strictement aligné sur l’inflation. Or, une sous-indexation, voire une absence d’indexation, notamment sur les premières tranches concernant les revenus modestes, peut conduire à imposer des contribuables jusque-là exonérés, si l’inflation a entraîné une hausse de leur salaire. Suite à la crise financière de 2008, les gouvernements de l’époque avaient gelé le barème de l’impôt. Ainsi, une année blanche, si elle s’accompagne d’une absence d’indexation ou d’une sous-indexation forte, ferait entrer plus rapidement les bas revenus dans l’impôt sur le revenu, générant ainsi des recettes fiscales supplémentaires. Cela dit, l’indice des prix à la consommation n’a progressé que de 2,3 % en 2024, après +5,7 % en 2023.
Exercice budgétaire blanc : le risque d’une année noire ?
D’un point de vue juridique, une telle construction budgétaire ne poserait guère de problème. En effet, les lois de finances et de financement de la Sécurité sociale pour 2026 sont même les véhicules législatifs idoines. L’absence de hausse des dépenses publiques, avec notamment le gel de la hausse des pensions de retraites, des prestations sociales voire des dotations aux collectivités territoriales, ne devrait pas poser de problème majeur, dès lors qu’il n’y a pas là d’atteinte à la continuité de l’État ou des services publics et que ces mesures pourraient être analysées comme une participation « à l’effort budgétaire de redressement des comptes publics » et plus largement « à l’effort de redressement des finances publiques » (v. Cons. const., n° 2020-862 QPC, 15 oct. 2020 et n°2023-1083 QPC, 21 mars 2024), s’inscrivant « dans l’objectif d’équilibre des comptes des administrations publiques » (Cons. const., n° 2017-760 DC, 18 janv. 2018). Et on sait bien que pour les collectivités territoriales, libre administration (art. 72, Const.) et autonomie financière (art. 72-2, Const.) ne sont guère protectrices des finances locales. Quant au gel du barème de l’impôt sur le revenu, il suffit de rappeler que la hausse de ce barème en fonction de l’inflation n’est nullement obligatoire (on peut ainsi penser aux LFI pour 2012 et 2013) : c’est un choix politique.
De ce point de vue-là, la faisabilité est évidemment plus complexe. Si le Gouvernement s’engage sur cette piste, la question de son maintien se poserait avec encore plus d’acuité. L’année budgétaire blanche, dont la seule idée est contestée par certains députés, pourrait alors se transformer en année noire pour le Gouvernement, avec l’adoption nouvelle d’une motion de censure, nous ramenant à la situation de décembre 2024. Quoi qu’il en soit, au regard du contexte politique et budgétaire actuel en France, les prochains débats budgétaires et financiers à l’Assemblée nationale s’annoncent particulièrement périlleux.
Année budgétaire blanche : la solution miracle ?
Le déficit et la dette publique semblent aujourd’hui difficilement maîtrisables. Même en générant 40 milliards d’euros d’économies budgétaires, selon les différentes estimations (ce qui reste très incertain, tant chaque corporation fera valoir ses doléances et ses menaces), cela ne suffirait qu’à réduire le déficit public, sans pour autant le ramener sous la barre des 3 % du PIB, et encore moins à rétablir l’équilibre budgétaire. De son côté, la dette publique, qui, à la fin du premier trimestre 2025 (INSEE, 26 juin 2025) s’élevait à 3 345,8 Md€ (114 % du PIB), n’arrive pas à interrompre sa course folle depuis la crise sanitaire. Tant que les investisseurs conserveront leur confiance dans la signature de la France, jugée solvable, il n’y aura pas de risque majeur. Il n’en reste pas moins qu’il vaudrait mieux, à terme, soit réduire les dépenses, soit renforcer le financement des services publics, plutôt que de verser aux prêteurs (lesquels, et c’est légitime, attendent une rémunération pour les prêts consentis). N’oublions pas que l’Allemagne s’apprête à revenir massivement sur le marché obligataire : les investisseurs pourraient alors privilégier les bons allemands, perçus comme plus sûrs.
Une chose est sûre : l’année budgétaire blanche ne saurait constituer autre chose qu’un « gadget » face à l’ampleur de l’effort budgétaire nécessaire pour freiner durablement le déficit budgétaire et la dette de l’État. Une réflexion de fond, structurée et dégagée des postures idéologiques, s’impose sur l’avenir du « modèle français » et sur les efforts que la nation est prête à consentir pour le préserver.
Par ailleurs, si un gel aussi massif des crédits devait être mis en œuvre pendant un an, il faudrait rester attentif à ses effets économiques négatifs (niveaux de consommation, recettes de TVA, emploi, investissement…). Reste alors une question de méthode : vaut-il mieux voter au Parlement une loi de finances sans réelles baisses de dépenses et à la sincérité douteuse, pour ensuite procéder à des annulations, gels, surgels et reports de crédits, en violation de l’ensemble des principes budgétaires ? Ou au contraire, face à l’instabilité politique à l’Assemblée nationale, ne rien faire et ainsi permettre de panser une plaie budgétaire temporairement, même si on sait que le pansement n’est pas suffisant ?
Le mal est profond, une année budgétaire blanche risque de n’être qu’un emplâtre sur une jambe de bois… pour éviter un carton rouge européen.