Par La rédaction.

Pourquoi les questions de prescription et de connexité s’invitent dans le débat, 41 ans après les faits ?

« Cette question est en enjeu majeur… » Dans la bien nommée « Salle dorée » de la Cour d’appel de Dijon (Côte-d’Or) où la justice est rendue depuis plus de 500 ans, Philippe Astruc n’a pas éludé la question à l’heure de commenter l’enquête sur la mort du petit Grégory. « Oui, il y a un risque juridique autour des questions de prescription et de connexité, a ainsi lâché le procureur général. Mais notre volonté est de continuer la recherche de la vérité la plus complète possible dans cette affaire. Nous le devons à un petit enfant de 4 ans. »

Un « petit enfant » du nom de Grégory Villemin dont la mort hante toujours la justice, 41 ans après. Vendredi 24 octobre, Jacqueline Jacob, sa grand-tante, a été mise en examen pour « association de malfaiteurs criminelle ». Désormais à la tête de cette enquête, Dominique Brault, le président de la chambre de l’instruction, la soupçonne « d’avoir participé à un groupement formé ou à une entente établie en vue de la préparation (…) d’un ou plusieurs crimes ou délits dont l’assassinat et l’enlèvement de Grégory Villemin en l’espèce », selon la qualification détaillée qui se base sur les articles 450-1 et suivants du Code pénal.

Plus prosaïquement : l’octogénaire est suspectée d’avoir été l’un des corbeaux – si ce n’est le principal – qui a harcelé la famille Villemin pendant des années à coups de courriers et d’appels anonymes avant que le petit Grégory ne soit tué et que son corps ne soit retrouvé dans les eaux froides de la Vologne (Vosges), le 16 octobre 1984.

L’article 265 de l’ancien Code pénal aujourd’hui abrogé

Mais les faits pour lesquels Jacqueline Jacob a été mise en examen sont-ils aujourd’hui prescrits ? Pour le juge Brault, la réponse est non. Pour les avocats de l’intéressée, elle est évidemment oui. Le procureur général, lui, s’interroge et attend, sans doute, que la chambre criminelle de la Cour de cassation ne vienne, in fine, trancher le débat dans plusieurs mois.

Lorsque les faits ont été commis, en 1984, c’est l’ancien Code pénal qui s’appliquait. Il faut donc s’en référer à l’article 265 de l’époque qui a, depuis, été abrogé. Peu ou prou, il prévoit la même chose que l’actuel article 450-1 de l’actuel Code. « Si l’on considère que cette ‘association de malfaiteurs’ est un délit, alors cela semble prescrit puisqu’il y a un ‘trou’ dans la procédure entre 1993 et 2000 sans acte interruptif, renseigne Philippe Astruc. Mais si l’on estime que l‘association de malfaiteurs est connexe au crime ayant été perpétré, alors c’est une prescription criminelle qui devrait s’appliquer… »

La connexité sur la table de la Cour de cassation

Ici, toute la question est de savoir si le fait d’envoyer des courriers anonymes aux parents du petit Grégory peut être considéré comme un acte « connexe » aux crimes que constituent l’enlèvement d’un mineur de 15 ans et, a fortiori, son assassinat. L’article 203 du Code de procédure pénale définit la connexité en ces termes : « les infractions sont connexes soit lorsqu’elles ont été commises en même temps par plusieurs personnes réunies, soit lorsqu’elles ont été commises par différentes personnes, même en différents temps et en divers lieux mais par la suite d’un concert formé à l’avance entre elles… ».

« Ce n’est pas une définition extrêmement claire mais plus une série d’exemples, analyse Jean-Yves Maréchal, professeur de droit pénal et de sciences criminelles à l’université de Lille. La Cour de cassation a toujours estimé que la liste contenue dans cet article n’était pas exhaustive. Et que c’était donc aux juges de trancher au cas par cas sous son autorité. »

Et depuis longtemps ! En novembre 1958 déjà, la chambre criminelle de la Cour de cassation avait en effet donné corps à « la connexité par unité de dessein » en jugeant qu’il y avait connexité entre « le délit d’association de malfaiteurs et les crimes ou délits commis par les membres de cette association en exécution de l’entente établie entre eux ». Idem dans un autre arrêt du 20 février 1990 (89-86.610 89-86.611).

« Il y a aussi un arrêt du 17 septembre 1997 relatif à l’affaire dite du sang contaminé, se souvient Didier Rebut, directeur de l’institut de criminologie et de droit pénal de Paris. Dans le cas d’espèce du petit Grégory, je ne vois pas pourquoi la connexité poserait un problème ».

Elle en pose en tout cas un sérieux aux avocats de Jacqueline Jacob. Ceux-ci ont déjà annoncé qu’ils allaient former un recours devant la chambre de l’instruction autrement composée de la Cour d’appel de Dijon pour faire annuler la mise en examen de leur cliente. Et, en cas d’échec, ont déjà commencé à réfléchir à déposer un pourvoi devant la Cour de cassation. De quoi épaissir un peu plus la jurisprudence en la matière.