États-Unis : Donald Trump peut-il déployer la garde nationale sans limite ?
Le 7 juin dernier, Donald Trump plaçait sous commandement fédéral la garde nationale de Californie et ordonnait son déploiement à Los Angeles. Depuis, invoquant tantôt la nécessité de mettre fin aux manifestations contre sa politique en matière d’immigration, tantôt la lutte contre une criminalité qu’il estime hors de contrôle, il a eu recours à l’armée dans plusieurs autres grandes villes du pays : Washington, D.C., Memphis, Portland et Chicago. La légalité de telles initiatives est douteuse et a été vivement contestée par les gouverneurs des États concernés, pour la plupart démocrates.
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Par Maud Michaut, Maîtresse de conférences à l’Université Paris-Panthéon-Assas
Comment Donald Trump justifie-t-il ces déploiements de la garde nationale ?
La garde nationale est l’héritière des anciennes milices des États. Il existe donc en réalité cinquante-quatre gardes nationales aux États-Unis : une pour chacun des cinquante États fédérés, une pour le District de Columbia et trois pour les territoires de Porto Rico, Guam et des Îles Vierges. La plupart du temps, la garde nationale est sous le contrôle de l’État fédéré. Le Congrès a néanmoins adopté en 1903 une loi aujourd’hui codifiée au § 12 406 du titre 10 du U.S. Code qui autorise le Président des États-Unis à fédéraliser la garde nationale d’un État dans trois hypothèses : en cas d’invasion étrangère, en cas de rébellion contre l’autorité du gouvernement des États-Unis ou lorsque les forces civiles ne suffisent pas à assurer l’application des lois. Il faut préciser, quant à cette dernière hypothèse, qu’il ne suffit pas, en principe, que les lois risquent d’être méconnues, mais qu’il est exigé une crise d’une particulière gravité.
Si Donald Trump se montre très peu soucieux de justifier de la légalité des mesures prises, c’est néanmoins cette disposition qui semble en constituer le fondement juridique. Pour le justifier, il paraît se placer tour à tour sous l’empire des deuxième et troisième hypothèses. Par exemple, dans le mémorandum par lequel il ordonnait le déploiement de la garde nationale à Los Angeles, il affirmait que « les manifestations ou les actes de violence entrav[aient] directement l’exécution des lois » et constituaient alors « une forme de rébellion contre l’autorité du gouvernement des États-Unis ». D’une manière générale, il y a dans ses interventions publiques toute une rhétorique de la rébellion, voire de l’insurrection et de la guerre. Par ailleurs, il n’est pas certain que le § 12 406 confère au Président des États-Unis le pouvoir de recourir à l’armée. Certains commentateurs considèrent en effet que cette disposition ne porte que sur le contrôle, fédéral plutôt qu’étatique, de la garde nationale, mais qu’elle n’habilite pas le Président des États-Unis à déployer ensuite ces militaires sur telle ou telle portion du territoire. Néanmoins, cette question n’a pas été discutée à l’occasion des recours juridictionnels.
Qu’ont jugé les cours ?
À l’exception du gouverneur de l’État du Tennessee, républicain, les gouverneurs démocrates des États fédérés concernés par ces déploiements se sont émus de ce qu’ils estiment être des abus de pouvoir du Président des États-Unis et ont contesté ces mesures devant les cours de justice fédérales territorialement compétentes. Pour l’heure, le débat contentieux porte principalement sur la question de savoir si les conditions posées à l’application du § 12 406 sont effectivement remplies.
Les cours de district qui se sont déjà prononcées ont pour la plupart considéré que les conditions factuelles mises à l’application du § 12 406 n’étaient pas réalisées et ont suspendu les décisions présidentielles dans l’attente des jugements au fond. Cependant, les cours d’appel semblent nettement plus favorables à l’administration Trump, examinant avec déférence l’appréciation que le Président a fait de la situation dans les différentes villes. Ainsi, la cour d’appel pour le Neuvième Circuit a jugé en juin dernier que l’application des lois était effectivement compromise à Los Angeles : cette condition suffisante étant remplie, elle s’est abstenue de se prononcer sur l’existence d’une rébellion. De même, elle a affirmé lundi 20 octobre que l’évaluation que Donald Trump faisait de la situation à Portland (qu’il décrivait comme une ville « dévastée par la guerre ») reflétait « une appréciation raisonnable des faits et du droit ». L’administration Trump a par ailleurs demandé vendredi à la Cour suprême d’autoriser le déploiement de la garde nationale à Chicago.
Pourquoi Donald Trump menace-t-il à présent d’invoquer l’Insurrection Act de 1807 ?
Aux États-Unis, il existe une traditionnelle réticence à l’égard du déploiement de militaires fédéraux sur le territoire national, compris comme une menace pour la démocratie et les droits et libertés des individus. Ainsi, il convient d’éviter que l’armée puisse être utilisée contre le peuple américain lui-même et réserver l’exécution des lois fédérales aux autorités civiles. Cela s’est traduit par l’adoption en 1878 d’une loi fédérale, le Posse Comitatus Act, qui interdit en principe de faire des militaires une force de police sur le territoire national.
Le 2 septembre dernier, une cour de district fédérale jugeait que le déploiement de la garde nationale à Los Angeles méconnaissait cette interdiction. En conséquence, les militaires ne pouvaient procéder à des « arrestations, interpellations, fouilles, saisies, patrouilles de sécurité, contrôle de la circulation, contrôle des foules, maintien de l’ordre, collecte de preuves, interrogatoires ou participation en tant qu’informateurs », à moins que l’administration Trump ne puisse se prévaloir d’une exception au Posse Comitatus Act, ce que ne constitue pas, selon la cour, le § 12 406.
C’est la raison pour laquelle Donald Trump menace à présent d’invoquer l’Insurrection Act de 1807, qui autorise le Président des États-Unis à confier, dans certaines situations, et notamment en cas d’insurrection, de telles missions de rétablissement et de maintien de l’ordre aux forces armées, avec ou sans le consentement du gouverneur de l’État. Il s’agit là d’une perspective extrêmement inquiétante, l’invocation de l’Insurrection Act conduisant à reconnaître au Président des États-Unis des pouvoirs considérables.