Verdun : pourquoi la justice a autorisé la messe en hommage à Pétain
Le Tribunal administratif de Nancy a suspendu l’arrêté pris par le maire de Verdun visant à empêcher la tenue d’une messe en hommage au maréchal Pétain. À l’issue de la cérémonie, le préfet de la Meuse a annoncé son intention de déposer une plainte pour révisionnisme.
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Par Thomas Hochmann, Professeur de droit public à l’Université Paris Nanterre (CTAD), auteur de l’ouvrage « On ne peut plus rien dire » – Liberté d’expression : le grand détournement (Anamosa, 2025).
Une association a organisé une messe « pour le repos de l’âme du maréchal Pétain » dans une église de Verdun. La décision du maire d’interdire cette manifestation a été suspendue par le tribunal administratif. Comment l’expliquer ?
Comme toutes les réunions publiques, les cérémonies religieuses sont « placées sous la surveillance des autorités dans l’intérêt de l’ordre public » (article 25 de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État). La protection de la liberté d’expression, notamment religieuse, implique que le maire, autorité de police administrative, ne peut interdire une réunion que s’il démontre qu’elle pose un risque sérieux de trouble à l’ordre public, et qu’il n’a pas d’autre moyen d’y parer. En l’espèce, le tribunal observe que les protestations qui ont été formulées contre cette cérémonie ne suffisaient pas à établir un risque de trouble à l’ordre public. De plus, le maire ne démontrait pas en quoi de simples mesures de sécurité étaient insuffisantes pour éviter les désordres. Cette décision peut être utilement comparée à la récente ordonnance du Tribunal administratif de Paris sur l’annulation par le Collège de France d’un colloque relatif aux relations entre l’Europe et la Palestine. Le tribunal, en plus d’observer que la réunion pouvait avoir lieu dans d’autres locaux, se satisfaisait de protestations apparues dans des publications en ligne et d’une inscription relevée devant le bâtiment du collège de France pour établir une menace de l’ordre public. De ce point de vue, la décision du Tribunal administratif de Nancy est plus fidèle à la jurisprudence établie, beaucoup plus exigeante quant à la démonstration du risque de violence.
En revanche, un autre type de trouble à l’ordre public aurait pu être envisagé de manière plus approfondie. Depuis une fameuse affaire de « lancer de nain », la garantie de l’ordre public inclut la préservation de la dignité humaine. Or, un ensemble de décisions rendues d’abord à l’égard de Dieudonné a indiqué qu’une réunion pouvait être interdite lorsqu’il était établi que des propos pénalement répréhensibles et attentatoires à la dignité humaine allaient être tenus. Il en va ainsi des propos qui provoquent à la haine contre des parties de la population, mais aussi de la contestation de l’existence d’un crime contre l’humanité. En 2020, le Tribunal administratif de Clermont-Ferrand a ainsi confirmé l’interdiction par le maire de Vichy d’une cérémonie de remise d’un « prix Robert Faurisson », pour honorer un négationniste.
À l’issue de la messe de Verdun, le préfet a annoncé porter plainte contre des propos négationnistes. Célébrer Pétain, est-ce du négationnisme ?
Ceux qui veulent présenter Pétain sous un jour favorable sont conduits à nier des faits. Affirmer que Pétain a protégé les Juifs français, par exemple, revient à nier les persécutions dont ces personnes ont été victimes de la part du régime de Vichy, tel le statut des Juifs adopté en octobre 1940. Cette thèse d’un Pétain protecteur apparaît dès son procès. Immédiatement contrecarrée par les premiers travaux d’historiens, elle a un temps prévalu, avant que la vérité s’impose. Cette histoire est admirablement contée dans un récent livre de Laurent Joly Le savoir des victimes.
Mais cette thèse du « bouclier » trouve encore des partisans et fait l’objet de polémiques régulières. Éric Zemmour a été récemment condamné pour avoir affirmé que Pétain avait « sauvé les Juifs français ». Les auteurs d’un récent ouvrage qui s’inscrit dans une ligne semblable ont poursuivi en diffamation certaines de leurs critiques.
Pour en revenir à la messe de Verdun, il aurait donc été possible de considérer qu’un hommage à Pétain impliquait une contestation de crime contre l’humanité, ou une apologie de tels crimes ou de la collaboration avec l’ennemi. Un chanteur a vu récemment ses concerts interdits, au motif que les chansons prévues exprimaient une apologie du nazisme.
Mais cette messe était organisée à Verdun. À en croire les organisateurs, c’était le héros de la Première guerre mondiale qu’il s’agissait d’honorer.
Le Tribunal administratif de Nancy paraît convaincu par cette prétention. Il souligne le contexte de commémoration du 11 novembre et le lieu, une église de Verdun largement détruite pendant la Grande guerre. Dès lors, affirme le juge, il ne semble pas que la cérémonie serait « en raison même de son contenu, de nature à susciter des troubles à l’ordre public », ce qui aurait été le cas en cas d’apologie de crime contre l’humanité.
Ce raisonnement peine à convaincre. Quoiqu’il ait fait auparavant, Pétain incarne désormais le régime de Vichy, la collaboration, les persécutions antisémites, la répression sanglante de la Résistance. Célébrer Pétain renvoie forcément à tout cela, et jamais uniquement ou même principalement au « héros de Verdun ». Le tribunal aurait donc très bien pu considérer que la messe pour le « repos de son âme » constituait une apologie de crime contre l’humanité, de crimes de guerre, de crime de collaboration avec l’ennemi, que de tels propos portaient atteinte à la dignité humaine, et que la messe pouvait donc être interdite pour préserver l’ordre public. Le même raisonnement aurait pu s’appliquer à la messe prévue à Paris en l’honneur du dictateur Franco, à laquelle les organisateurs ont finalement renoncé.
Dans une lointaine affaire d’apologie de la collaboration, la Cour européenne des droits de l’homme avait affirmé que « le recul du temps » implique que des propos apologétiques ne devraient pas être jugés aussi sévèrement quarante ans après les faits que dix ou vingt ans auparavant. Aujourd’hui, alors que les mouvements autoritaires prospèrent un peu partout dans le monde, la thèse inverse mérite d’être envisagée. À mesure que ce passé s’éloigne, il paraît impérieux d’en maintenir une vision claire, et de réagir lorsque l’attaque de la démocratie s’appuie sur le souvenir de ses fossoyeurs.