Parité femmes-hommes dans les conseils des sociétés : un nouveau coup de pouce
La publication de l’ordonnance du 15 octobre 2024 (N° 2024-934) prouve que la parité entre les sexes est en chemin, même si elle a parfois besoin d’un petit « coup de pouce » afin d’accélérer le mouvement, notamment dans les organes de direction des sociétés. A cet égard, la politique des quotas, même si elle est discutée, a fait ses preuves.

Par Lise Chatain, Professeure à l’Université de Bourgogne
Comment est promue la parité femmes-hommes dans les conseils des entreprises françaises ?
En France, une première loi en date du 23 mars 2006 avait eu pour objet, notamment, d’imposer la parité dans les conseils d’administration, mais le Conseil constitutionnel avait alors considéré que les quotas de femmes dans les conseils d’administration étaient contraires aux principes d’égalité devant la loi (Cons. const. n° 2006-533 DC, 16 mars 2006). Une réforme institutionnelle est donc intervenue pour mettre fin au refus du Conseil constitutionnel d’étendre le champ de l’article 1er de la Constitution au-delà de la sphère politique : la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 a ainsi complété le deuxième alinéa de cet article qui dispose désormais : « La loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu’aux responsabilités professionnelles et sociales. »
C’est ainsi qu’a été votée le 27 janvier 2011 la loi « Copé-Zimmermann » qui a permis l’instauration de quotas de personnes de chaque sexe pour contraindre les sociétés françaises à une représentation plus équilibrée des femmes dans les conseils de surveillance et d’administration, du moins pour les sociétés cotées ou celles dépassant certains critères de seuils.
Aujourd’hui, le Code de commerce dispose que la proportion des administrateurs de chaque sexe ne peut être inférieure à 40 % dans les sociétés qui emploient un nombre moyen d’au moins 250 salariés permanents et présentent un montant net de chiffre d’affaires ou un total de bilan d’au moins 50 millions d’euros (ainsi que dans les sociétés dont les titres sont admis aux négociations sur un marché réglementé sans condition de seuil). Des obligations similaires s’imposent pour la composition des conseils de surveillance.
Par ailleurs, pour l’application de cette règle de composition paritaire, il n’est pas prévu de prendre en compte les membres du conseil représentant les salariés, ni ceux élus par les salariés actionnaires, qui pourraient être des femmes.
Lorsque la composition du conseil ne respecte pas le quota fixé, la sanction prévue à l’origine par la loi de 2011 était la nullité de la nomination « illicite » du nouveau membre du conseil. Puis, cette sanction a été assortie à compter du 1er janvier 2017 de la suspension du versement de la rémunération de tous les membres (anciens jetons de présence) et la loi du 22 mai 2019 (dite loi PACTE) a prévu la nullité des délibérations prises par le conseil ne respectant pas l’obligation de parité.
A ce jour, le succès de la loi « Copé-Zimmermann » fait peu de doutes : en 2024, les femmes représentent 46,7 % des membres des conseils d’administration des sociétés du CAC 40 et 46,4% des sociétés du SBF 120 (selon le baromètre IFA – Ethics & Board du 29 février 2024).
Quelle est la réglementation européenne en matière de parité dans les conseils d’administration ?
En Europe, le chemin vers la parité dans les conseils a été plus long et moins abouti. Une proposition de directive en faveur de la mise en place de quotas dans les conseils d’administration a été présentée en 2012. Toutefois, pendant 10 ans, l’opposition de nombreux États, notamment de l’Allemagne, à de telles mesures contraignantes à l’endroit des grandes entreprises a bloqué la mise en œuvre du texte. Ce n’est que le 23 novembre 2022 qu’a été adoptée la directive (UE) 2022/2381 du Parlement européen et du Conseil du 23 novembre 2022, dite Women on Boards, relative à un meilleur équilibre entre les femmes et les hommes parmi les administrateurs des sociétés cotées et à des mesures connexes.
En substance, cette directive prévoit la mise en place de procédures de recrutement transparentes au sein des entreprises cotées, pour qu’au moins 40% des postes d’administrateurs non exécutifs ou 33% de tous les postes d’administrateurs soient occupés par le sexe sous-représenté au 1er juillet 2026. Elle prévoit également que les États membres doivent mettre en place des mesures de sanctions efficaces, dissuasives et proportionnées (comme des amendes) pour s’assurer du respect des nouvelles règles. Les PME de moins de 250 salariés ne sont pas concernées par cette nouvelle législation.
C’est dans ce contexte qu’a été publiée l’ordonnance n° 2024-934 du 15 octobre 2024 portant transposition de la directive du 23 novembre 2022 (suite à la loi du 22 avril 2024, dite DDADUE 2024, ayant habilité le Gouvernement à légiférer par voie d’ordonnance).
Quel est l’apport de cette ordonnance du 15 octobre 2024 ?
Dans la mesure où le droit français est déjà doté d’un régime d’équilibre entre les femmes et les hommes au sein des conseils d’administration et de surveillance des sociétés commerciales qui concerne toutes les sociétés, cotées ou non, de plus de 250 salariés (avec un montant de chiffre d’affaires ou un total de bilan d’au moins 50 millions d’euros), les mesures de transposition contribuent essentiellement à aménager à la marge les dispositifs existants.
L’ordonnance de 2024 étend ainsi le dispositif d’équilibre entre les femmes et les hommes aux représentants des salariés et aux représentants des salariés actionnaires en constituant des collèges distincts pour l’application de la règle d’équilibre, pour tenir compte de la diversité des modes de désignation. Ainsi, d’une part, les membres représentants des salariés actionnaires, désignés par l’assemblée générale, sont intégrés au collège des membres de droit commun, et, d’autre part, les actionnaires représentants des salariés, désignés selon des modalités spécifiques, constituent un collège distinct (les règles d’équilibre entre les femmes et les hommes sont alors appliquées en fonction de leur mode de désignation). L’ordonnance étend également ces règles aux sociétés commerciales dans lesquelles l’État détient des participations.
Nonobstant l’adoption de la directive Women on Boards, le droit européen reste en retrait par rapport au droit français en matière d’égalité entre les sexes. En effet, il faut souligner l’avancée que constitue la loi Rixain du 24 décembre 2021 qui a prévu la mise en place d’un quota de 40% de femmes dans les « instances dirigeantes » des grandes entreprises (essentiellement les Comex et Codir), ce qui élargit indéniablement le champ de l’obligation de parité afin de promouvoir la place des femmes dans tous les organes de direction des entreprises.