Par Maud Cintrat, Maîtresse de conférences à l’Université Claude Bernard Lyon 1, Laboratoire Parcours santé systémique (UR 4129), Membre associée au CERCRID (UMR 5137)

Quels est le contenu de cet amendement ?

L’amendement réserve les dénominations actuellement utilisées pour désigner des produits composés de viande aux seuls produits à base de viande. En d’autres termes, il a pour effet d’interdire l’utilisation de termes de boucherie et de charcuterie pour des produits composés de protéines végétales, comme les « lardons végétaux » ou encore les « steaks de soja ». L’objectif affiché est simple : protéger les consommateurs face au risque de confusion entre les produits d’origine animale et des produits composés de protéines végétales.

D’abord, l’amendement s’appuie sur la définition de la notion de viande déjà disponible dans le règlement n° 853/2004 du 29 avril 2004 (c’est-à-dire les parties comestibles de certaines espèces d’animaux, comme les bovins, les chevaux ou les lapins) pour réserver de façon générale tous les termes y étant relatifs – comme la bavette ou l’escalope – aux seuls produits composés de viande.

Ensuite, les dénominations renvoyant à des préparations de viandes (incluant la viande fraîche et le premier stade de transformation de la viande au terme duquel on aperçoit toujours « à cœur la structure fibreuse des muscles ») et à des produits à base de viande (stade du produit transformé au terme duquel on n’aperçoit plus la structure fibreuse des muscles) – notions définies dans le même règlement de 2004 – sont réservées aux produits dans lesquels on retrouve de la viande. L’amendement liste de façon non exhaustive des exemples de produits qui devront nécessairement être composés de viande : le steak, l’escalope, la saucisse, le burger et le hamburger, le jaune d’œuf et le blanc d’œuf.

Puis, les produits et découpes de volaille (visés cette fois dans un règlement n° 543/2008 du 16 juin 2008) sont réservés à cette origine, comme les pilons, carcasses, blancs, noix ou filets de poitrine.

Enfin, l’amendement interdit également que les produits issus de cultures cellulaires (qui sont le résultat de la multiplication artificielle de cellules musculaires) puissent être désignées comme des produits usuellement à base de viande : cela fait par exemple obstacle aux dénominations comme viande de synthèse, steak in vitro ou escalope cellulaire.

Pourquoi avoir proposé cet amendement ?

Ce n’est pas un hasard si cet amendement vient d’une députée française au Parlement européen. En effet, le gouvernement français a, en 2022 puis en 2024, échoué à interdire l’emploi de termes issus du secteur de la boucherie, de la charcuterie et de la poissonnerie pour des produits composés de protéines végétales. Le Conseil d’État, saisi d’une requête en annulation du premier arrêté, a sursis à statuer le 12 juillet 2023 afin d’interroger la Cour de justice de l’Union européenne. Cette dernière a jugé, dans un arrêt du 4 octobre 2024, que le droit de l’Union européenne et le droit français (confirmé par le Conseil d’État le 28 janvier 2025) ne réservent pas de dénomination légale aux denrées du secteur de la boucherie et de la charcuterie. En présence de noms usuels ou descriptifs, la France ne pouvait pas interdire aux producteurs de denrées composées de protéines végétales de les utiliser alors que ces derniers ont l’obligation de donner un nom à leurs produits. La solution apparaît donc : créer des dénominations légales pour les produits du secteur de la boucherie et de la charcuterie et imposer qu’ils soient composés de viandes. Cela aura pour effet d’interdire d’utiliser ces dénominations pour les produits d’origine végétale, comme en témoigne un arrêt de la Cour de justice du 14 juin 2017. En effet, dans cette affaire, la Cour de justice avait interdit que le lait et les produits laitiers puissent être présentés comme étant d’origine végétale – comme le « lait de soja » ou les « yaourts de coco », puisque le règlement du 17 décembre 2013 portant organisation commune des marchés (OCM) des produits agricoles les définit expressément comme étant issus de la sécrétion mammaire des vaches. En présence d’une dénomination légale, seuls les produits présentant certaines caractéristiques (comme être composés de viande) bénéficieront de cette dénomination.

Quelles sont les limites de cet amendement ?

L’amendement tel qu’il a été adopté par le Parlement européen présente plusieurs problèmes, tant sur la forme que sur le fond.

D’abord, en ce qui concerne la forme, il est étonnant de remarquer qu’il prévoit la modification de l’annexe VIII du règlement portant OCM des produits agricoles, laquelle a pour objet de détailler les pratiques œnologiques visées à l’article 80 du règlement. L’annexe VII du règlement aurait sans doute été plus appropriée, puisqu’elle fait application de l’article 78 relatif aux définitions, dénominations et dénominations de vente. Toutefois, la modification de l’annexe VII n’aurait pas été suffisante : l’article 78 ne renvoie à cette annexe que pour fixer les dénominations de produits à base de viande bovine ou de viande de volaille. Les dénominations visant toute autre viande seraient dépourvues de base légale.

Ensuite, en ce qui concerne le fond, trois difficultés apparaissent.

Premièrement, parmi les dénominations réservées aux produits contenant de la viande, on retrouve les burgers et hamburgers. Cela implique d’interdire l’utilisation de ces termes pour désigner des produits composés d’une tranche de poisson pané ou d’une galette de pommes de terre entourée de deux pains à burger, ce qui semble déconnecté de la réalité. Exit donc les « veggies burgers » certes, mais aussi les « fish burgers ». De façon plus surprenante, les jaunes et blancs d’œuf figurent aussi parmi les dénominations réservées aux produits contenant de la viande. Or, il est non seulement évident que les œufs sont des produits d’origine animale, mais aussi qu’ils ne contiennent pas de viande.

Deuxièmement, l’amendement ne prévoit pas de liste exhaustive des dénominations réservées aux produits à base de viande. Certes, la Cour de justice avait considéré, dans son arrêt du 14 juin 2017 précité, que son analyse s’étendait à la chantilly quand bien même ce produit n’est pas listé en tant que produit laitier. Toutefois, la Cour l’a aisément rattaché aux produits laitiers en rappelant qu’il s’agit de crème fouettée ou battue et que la crème est listée en tant que produit laitier. La même analyse ne pourra pas être conduite pour rattacher les nuggets ou les lardons en l’absence de dénomination de référence préexistante. Ainsi, la transformation de dénominations usuelles en dénominations légales sans qu’une liste exhaustive ne soit fixée crée une situation d’insécurité juridique pour les industriels du secteur des produits d’origine végétale.

Troisièmement, et pour finir, la rédaction retenue pour les produits et découpes de volailles n’est pas complète. Elle ne s’appuie pas, comme les précédentes dispositions de l’amendement, sur l’article 17 du règlement INCO et elle ne précise pas qu’elle réserve les dénominations de ces produits à ceux qui comportent effectivement de la viande de volaille. Il en résulte qu’avec une telle rédaction, cette disposition ne fait que reprendre des définitions (produits de volailles, découpes de volailles) déjà fixées dans un autre règlement européen.

Le sort de cet amendement est désormais soumis aux négociations interinstitutionnelles dont l’ensemble du texte adopté par le Parlement doit faire l’objet, en application de l’article 60 §4 du règlement intérieur du Parlement.