Du délit de « très grande vitesse » au délit de « mise en danger », ou la menace de la garde à vue !
Par une récente annonce, le procureur de la République et le préfet de Nice ont averti que tout « grand excès de vitesse » commis sur la Promenade des Anglais entraînera désormais le placement en garde à vue de son auteur pour mise en danger de la vie d’autrui. La prévention ne peut qu’y gagner, mais une telle position, par son caractère tranché, est-elle juridiquement solide ?
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Par Yves Mayaud, Professeur émérite de l’Université Paris-Panthéon-Assas
Qu’est-ce que le délit de « très grande vitesse » ?
Le délit de très grande vitesse vient de connaître une évolution sensible par la récente loi du 9 juillet 2025 créant l’homicide routier et visant à lutter contre la violence routière :
Avant cette loi, le code de la route punissait « tout conducteur d’un véhicule à moteur qui, déjà condamné définitivement pour un dépassement de la vitesse maximale autorisée égal ou supérieur à 50 km/h, commet la même infraction en état de récidive dans les conditions prévues par le deuxième alinéa de l’article 132-11 du Code pénal ». Le délit correspondait donc à la récidive d’une première infraction : en effet, commis en infraction primaire, le dépassement de 50 km/h ou plus de la vitesse maximale autorisée était érigé en contravention de la cinquième classe, et ce n’était qu’en situation de récidive que l’infraction devenait délictuelle, punie de trois mois d’emprisonnement et de 3 750 euros d’amende.
Désormais, depuis la loi du 9 juillet 2025, est érigé en délit « le fait, pour tout conducteur d’un véhicule à moteur, de dépasser de 50 kilomètres à l’heure ou plus la vitesse maximale autorisée », ce qui revient à viser tout excès de vitesse répondant à ces conditions, y compris hors récidive, et donc à supprimer le premier degré de la réponse pénale auparavant emprunté aux contraventions. Le délit, qui reste puni de trois mois d’emprisonnement et de 3 750 euros d’amende, est ainsi devenu la seule référence de la « très grande vitesse », à l’exclusion de toute antériorité contraventionnelle.
La répression en ressort naturellement renforcée, à la mesure d’une insécurité routière aux effets dévastateurs, précisément visée par le procureur de la République et le préfet de Nice pour fonder leur déclaration commune sur les suites qu’ils envisagent en termes de garde à vue.
Une « très grande vitesse » est-elle en soi une mise en danger ?
La mise en danger renvoie au délit de risques causés à autrui, puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende, et défini par le Code pénal comme « le fait d’exposer directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente par la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement ». Il ne fait aucun doute que le dépassement de 50 km/h ou plus de la vitesse maximale autorisée est une violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de sécurité prévue par la loi, et qu’est ainsi rejointe la définition du délit en ces termes.
Mais l’infraction n’est pas pour autant réalisée dans sa plénitude. En effet, la Cour de cassation juge, pour en admettre la matérialité, qu’il ne suffit pas d’établir la violation de la norme de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement, mais qu’il faut encore la preuve d’un « comportement particulier » « s’ajoutant » à cette violation, ce qu’elle a plusieurs fois appliqué au dépassement de la vitesse autorisée. Par exemple, elle a censuré une cour d’appel qui avait condamné un automobiliste ayant roulé à une vitesse de 200 km/h un jour de grande circulation et à une heure particulièrement fréquentée, alors que ces seuls motifs ne caractérisaient pas un comportement particulier s’ajoutant au dépassement de la vitesse autorisée et exposant directement autrui à un risque immédiat. De même, elle a cassé un arrêt qui avait retenu une mise en danger d’autrui dans le fait de circuler à la vitesse de 215 km/h sur une portion d’autoroute limitée à 110 km/h, ayant relevé que le prévenu n’avait manifestement pas pris en compte les autres usagers de la route, nombreux à cette heure de la journée : mais cette motivation a été considérée comme insuffisante à « caractériser un comportement particulier, s’ajoutant au dépassement de la vitesse autorisée, ou l’existence de circonstances de fait particulières, exposant directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente ».
C’est dire que le délit se présente sous les traits d’une infraction « complexe ». Il est tributaire d’une dualité d’actes de nature différente, correspondant, pour le premier, au non-respect de l’obligation érigée en impératif de sécurité, et, pour le second, à un comportement distinct à même de créer le risque direct et immédiat de mort ou de blessures. Il faut en conclure que des vitesses extrêmes ne sont pas en elles-mêmes constitutives de mise en danger, et qu’elles le deviennent seulement si elles se doublent d’initiatives (queue de poisson…) ou d’un contexte chargé (densité de la circulation par mauvais temps…) ne pouvant que conduire à une forte probabilité d’atteinte à l’intégrité physique des personnes, le tout sous couvert de l’appréciation souveraine des juges du fond.
Quelles sont les conditions d’une garde à vue ?
Le fait qu’une « très grande vitesse », par hypothèse constitutive d’un délit routier, ne soit pas en elle-même une mise en danger de la personne d’autrui n’interdit pas le placement en garde à vue de son auteur. La garde à vue n’est pas tributaire de la certitude de la qualification pénale, étant faite au contraire pour contribuer à la révéler. Le code de procédure pénale la définit comme une « mesure de contrainte […] par laquelle une personne à l’encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement est maintenue à la disposition des enquêteurs ». Il suffit donc, lorsqu’il s’agit d’un délit, que l’infraction suspecte soit sanctionnée de l’emprisonnement, ce qui est précisément le cas pour la « très grande vitesse », surtout depuis la loi du 9 juillet 2025, qui la retient en toutes circonstances, même hors récidive.
Il n’est donc rien à redire au fait que la police judiciaire, sous le contrôle du procureur de la République, puisse placer en garde à vue tout auteur de ce type de délit. La mesure n’étant pas le résultat d’une qualification acquise, mais un moyen d’y parvenir, elle participe de l’opportunité et elle ne saurait être contestée sur le principe qu’une mise en danger n’aurait pas sa place.
Ceci étant dit, une garde à vue n’est pas anodine, qui emporte des « contraintes » qu’il vaut mieux éviter, ce qui revient à dire qu’il est plus sage d’éviter les excès de vitesse…