Par Evelyne Bonis, Professeur à l’université de Bordeaux, directrice de l’Institut de sciences criminelles et de la justice (UR4633)

Quels sont les critères que pourrait retenir la Cour pour accorder ou refuser la demande ?

La chambre de l’instruction va devoir apprécier s’il y a lieu ou pas de maintenir M. Sarkozy sous le régime de la détention provisoire. Pour cela, elle va devoir apprécier les éléments précis et circonstanciés résultant de la procédure, afin de rechercher si la détention provisoire constitue l’unique moyen de parvenir à l’un ou plusieurs des objectifs visés à l’article 144 du code de procédure pénale, objectifs qui ne sauraient être atteints par une mesure non privative de liberté. Ces objectifs sont : 1° Conserver les preuves ou les indices matériels qui sont nécessaires à la manifestation de la vérité ; 2° Empêcher une pression sur les témoins ou les victimes ainsi que sur leur famille ; 3° Empêcher une concertation frauduleuse entre la personne mise en examen et ses coauteurs ou complices ; 4° Protéger la personne mise en examen ; 5° Garantir le maintien de la personne mise en examen à la disposition de la justice ; 6° Mettre fin à l’infraction ou prévenir son renouvellement.

Ces motifs de maintien en détention provisoire, identiques à ceux du placement initial en détention provisoire, devront être examinés in concreto par la Cour au regard de la situation précise à l’instant de la décision de M. Sarkozy.

Parmi ces motifs, la cour ne pourra, pour des raisons de droit, se fonder, comme l’avait fait le Tribunal correctionnel de Paris dans son jugement de condamnation du 25 septembre 2025 pour justifier le prononcé du mandat de dépôt à effet différé avec exécution provisoire, sur le caractère indispensable de la mesure « pour garantir l’effectivité de la peine au regard de l’importance du trouble à l’ordre public causé par l’infraction ». En effet, si l’article 144 du Code de procédure pénale prévoit bien, parmi les motifs du placement ou du maintien en détention provisoire la nécessité de « mettre fin au trouble exceptionnel et persistant à l’ordre public provoqué par la gravité de l’infraction, les circonstances de sa commission ou l’importance du préjudice qu’elle a causé » (C. pr. pén., art. 144, 7°), ce motif n’est pas applicable en matière correctionnelle. Elle ne se fondera vraisemblablement pas sur la nécessité de garantir le maintien de N. Sarkozy à la disposition de la justice. Il a toujours répondu aux convocations qui lui ont été adressés comme le rappelait le Tribunal correctionnel de Paris en soulignant « que M. SARKOZY ne s’est jamais dérobé à la moindre convocation et a été présent à l’audience sauf dispense accordée par le tribunal ». Pour des raisons de fait, ce motif ne semble pas pouvoir être retenu dans le cas de M. Sarkozy alors qu’il a servi de fondement au maintien en détention provisoire d’Alexandre Djouhri, l’homme d’affaires franco-algérien condamné dans la même affaire à six ans d’emprisonnement et trois millions d’euros d’amende, avec mandat de dépôt. La Cour d’appel de Paris, saisie d’une demande de mise en liberté, a refusé d’y faire droit, le 4 novembre dernier, en considérant que la détention restait justifiée en raison du risque de fuite de l’homme d’affaires franco-algérien qui « dispose de facilités pour décider d’un départ du territoire national ».

Le refus de mise en liberté pourrait éventuellement être prononcé en raison du risque de concertation frauduleuse voire de la nécessité de conserver les preuves. Néanmoins, si ces motifs sont souvent retenus au stade de l’instruction, il peut être plus difficile de justifier de ces nécessités au stade actuel de la procédure à savoir, alors que la juridiction du premier degré a déjà statué et que l’affaire est en attente d’examen de l’appel interjeté contre le jugement. Même si la chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Paris n’est pas tenue par les décisions prises auparavant dans la procédure, il est d’autant moins probable que ces motifs soient retenus qu’en phase d’instruction, N. Sarkozy avait seulement été placé sous contrôle judiciaire avec interdiction de se rendre en Egypte, Tunisie, Libye et Afrique du sud et d’entrer en contact avec les autres mis en examen et témoins nommément désignés par ordonnance du 21 mars 2018 puis maintenu sous contrôle judiciaire le 24 août 2023, ordonnance confirmée par un arrêt en date du 31 octobre 2023 rendue par la chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Paris. Cette décision antérieure de la Cour ne la lie toutefois pas à un autre stade de la procédure.

Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, il y a tout lieu de penser que la Cour d’appel accordera la remise en liberté de N. Sarkozy et non son maintien en détention provisoire. La situation de M. Sarkozy devrait être rapidement connue.  En pratique en effet, une fois l’audience tenue, la décision est très souvent rendue le jour même ou dans les 48 heures.

En cas de refus, N. Sarkozy pourrait-il renouveler sa demande ?

Si la chambre de l’instruction décide de rejeter la demande de mise en liberté de N. Sarkozy, elle doit le faire au terme d’une décision motivée indiquant les éléments de l’espèce qui justifient ce maintien en détention. Elle devra donc énoncer les éléments précis et circonstanciés. Elle ne peut se contenter de recopier l’un des motifs de l’article 144 mais doit, en outre, in concreto, expliquer en quoi le risque est présent dans le cas précis de N. Sarkozy. La jurisprudence en la matière est, de longue date, bien établie et il ne fait aucun doute que si la cour adopte une telle solution, elle ne manquera pas de justifier sa décision comme elle l’a d’ailleurs fait récemment dans la décision rendue le 4 novembre dernier à l’endroit de Alexandre Djouhri.

Une décision de rejet de la demande aurait donc pour conséquence de prolonger la détention provisoire de N. Sarkozy à la prison de la santé.

Il pourrait toutefois formuler ultérieurement une ou plusieurs nouvelles demandes de mise en liberté pendant la durée de la détention provisoire à savoir jusqu’à ce que la décision de condamnation soit exécutoire puisque le mandat de dépôt à effet différé assorti de l’exécution provisoire a pour conséquence l’incarcération du prévenu à la date fixée par le procureur de la République sous le régime de la détention provisoire pendant toute cette durée (Cass. crim. 22 nov. 2023 : pourvoi n°23-81.085, publié). La loi ne fixe aucun nombre maximal de demandes. Elle ne prévoit pas davantage de délai minimal entre deux demandes. La seule disposition du code à ce sujet concerne le cas où une seconde demande serait adressée au juge alors qu’il n’a pas encore statué sur la précédente. La seconde demande serait alors irrecevable, cette irrecevabilité s’appliquant de plein droit sans avoir à être constatée par ordonnance du juge (C. pr. pén. art. 148).

Si la Cour d’appel de Paris devait être de nouveau saisie d’une demande de mise en liberté, elle l’examinerait dans les mêmes conditions de délais et selon les mêmes règles que la précédente. Une seule différence procédurale est prévue par le code à l’occasion de l’examen d’une nouvelle demande : la possibilité, pour le président de la juridiction, de refuser la comparution personnelle du prévenu par une décision motivée, qui n’est susceptible d’aucun recours au motif que le prévenu a déjà comparu devant la juridiction moins de quatre mois auparavant (C. pr. pén. art. 148-1 al. 1er).

Il pourrait aussi forme run pourvoi en cassation contre la décision de la chambre de l’instruction. La chambre criminelle de la Cour de cassation devrait alors s’assurer que la décision a bien été rendue dans les délais impartis (ce qui est en l’occurrence le cas) et qu’elle a été correctement motivée.

En cas d’acceptation, quelles seront les implications concrètes ?

Si la chambre de l’instruction fait droit à la demande de remise en liberté, M. Sarkozy sera libéré. L’ordonnance de remise en liberté s’accompagnera en effet de la mainlevée du mandat de dépôt, c’est-à-dire de la cessation de l’ordre donné au chef de l’établissement pénitentiaire de recevoir et de détenir la personne à l’encontre de laquelle il est décerné. (C. pr. pén., art. 122). Cette conséquence appelle quelques précisions de notre part compte tenu d’un certain flou existant au sujet du mandat de dépôt à effet différé, la Cour de cassation ayant eu l’occasion de dire à deux reprises que ce mandat de dépôt à effet différé prévu à l’article 464-2 du Code de procédure pénale « n’est pas soumis au même régime que les mandats de dépôt et d’arrêt » (Cass. crim., 22 nov. 2023, n°23-81.085, publié au Bull. et 27 mai 2025, n°25-81.970, publié au Bull). Selon nous, pour être comprise, cette jurisprudence oblige à opérer une différence dans le temps selon que le mandat de dépôt à effet différé a été mis à exécution ou pas, bref selon que la date de l’incarcération a été fixée par le procureur de la République dans les conditions énoncées à l’article 464-2. Avant cette fixation, le mandat de dépôt à effet différé obéit à ses propres règles. Il n’est pas possible de le contester. Contrairement au mandat de dépôt classique (C. pr. pén., art. 465), il n’est ainsi pas possible d’en demander la mainlevée (Cass. crim. 27 mai 2025, n°25-81.970). Il n’existe en effet pas encore de détention de sorte qu’une demande de mainlevée n’aurait pas d’objet. En revanche, une fois la date de l’incarcération fixée par le procureur de la République, le mandat de dépôt à effet différé revêt les caractéristiques d’un mandat de dépôt classique. L’ordre donné par le tribunal au chef de l’établissement pénitentiaire, qui se trouvait jusque-là suspendu, devient effectif. Une demande de mise en liberté peut être adressée au juge et une mainlevée ordonnée dès lors que le juge accède à une demande de mise en liberté. Ainsi, au regard ses effets, la demande de mise en liberté de M. Sarkozy devrait être identique à ceux des demandes de ses deux comparses alors même que pour ces derniers, le Tribunal correctionnel de Paris n’avait pas délivré un mandat de dépôt à effet différé mais des mandats de dépôt à l’audience. La différence entre les deux types de mandat a eu un intérêt certain entre le 25 septembre 2025 (date du jugement du tribunal correctionnel) et le 21 octobre, date de l’incarcération de N. Sarkozy (telle que fixée par le procureur et notifiée le 13 octobre) mais depuis cette date, le régime de ces mandats semble devoir être le même. Le mandat de dépôt à effet différé n’aurait donc pas une nature différente du mandat de dépôt classique. Comme lui, il est l’ordre donné par le juge au chef de l’établissement pénitentiaire de recevoir la personne mais, alors que cet ordre est immédiatement efficace pour le mandat de dépôt classique, il est en quelque sorte suspendue à la décision du procureur de la République dans le cas du mandat de dépôt à effet différé. Une fois cette décision prise, la personne est incarcérée en vertu d’un mandat de dépôt et donc, l’obtention d’une remise en liberté opère mainlevée de ce mandat.

Quand bien même la chambre ordonnerait la remise en liberté de N. Sarkozy, il ne sera pas dégagé de toute obligation. Dans tous les cas, la mise en liberté assortie sera ordonnée à charge pour la personne mise en examen de prendre l’engagement de se représenter à tous les actes de la procédure aussitôt qu’elle en sera requise et de tenir informé le magistrat de tous ses déplacements (C. pr. pén., art. 147). En outre, la Cour pourra décider que la mise en liberté sera assortie de mesures de contrôle judiciaire (C. pr. pén. art. 148, al. 3.) ou d’un placement sous assignation à résidence sous surveillance électronique (C. pr. pén., art. 142-12). Dans le cas où elle ordonnerait une remise en liberté et un placement sous contrôle judiciaire, il lui appartient de fixer les obligations et interdictions du contrôle parmi la liste des mesures figurant à l’article 138 du Code de procédure pénale. A titre de comparaison, on remarquera que c’est la décision qui a été prise par la Cour d’appel de Paris le 28 octobre, à l’endroit de Wahib Nacer, condamné dans la même affaire à une peine de quatre années d’emprisonnement avec mandat de dépôt immédiat. La Cour d’appel de Paris a ordonné sa remise en liberté et son placement sous contrôle judiciaire, avec interdiction de quitter le territoire, obligation de pointage régulier au commissariat et remise de ses passeports.