Affaire Rachida Dati : la corruption passive, comment ça marche ?
Les 7 et 14 octobre 2024, la Cour de cassation a rejeté deux pourvois déposés par la ministre de la Culture, Rachida Dati, mise en examen depuis 2021 pour « corruption passive » dans le cadre de l'affaire judiciaire concernant Carlos Ghosn, ancien PDG de Renault-Nissan. La mise en examen concerne des faits qui se seraient produits alors qu’elle était députée européenne. L’occasion de faire le point sur cette forme d'atteinte à la probité.
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Par Chantal Cutajar, Maître de conférences HDR HC à l’Université de Strasbourg, Directrice du GRASCO
Quelle est la définition de la corruption passive et quelles sont les sanctions encourues ?
La corruption passive consiste, pour une personne dépositaire de l’autorité publique, chargée d’une mission de service public ou investie d’un mandat électif public, à solliciter ou agréer, sans droit, des offres, des promesses, des dons, des présents ou des avantages quelconques pour elle-même ou pour autrui, soit pour accomplir ou avoir accompli, soit pour s’abstenir ou s’être abstenue d’accomplir un acte de sa fonction, de sa mission ou de son mandat ou facilité par sa fonction, sa mission ou son mandat (art. 432-11 du Code pénal). Elle est punie de 10 ans d’emprisonnement et d’une amende d’un million d’euros, dont le montant peut être porté au double du produit tiré de l’infraction. Lorsque l’infraction est commise en bande organisée, la peine d’amende est portée à 2 millions d’euros ou au double du produit de l’infraction s’il excède ce montant.
La corruption passive est sanctionnée des mêmes peines lorsqu’elle est commise par des personnes exerçant une fonction publique dans un État étranger ou au sein d’une organisation internationale publique (art. 435-1 du Code pénal).
Lorsque le prévenu est une personne exerçant des fonctions juridictionnelles, des fonctions au greffe d’une juridiction, des missions de conciliation ou de médiation, ou des missions d’arbitrage, la peine encourue est de 10 ans d’emprisonnement et une amende d’un million d’euros. Si l’infraction est commise par un magistrat au bénéfice ou au détriment d’une personne faisant l’objet de poursuites criminelles, elle devient un crime puni de 15 ans de réclusion criminelle et 225 000 euros d’amende (art. 434-9 du Code pénal).
Le code pénal distingue la corruption passive de la corruption active. Cette dernière consiste à proposer, sans droit, des offres, des promesses, des dons, des présents ou des avantages quelconques à une personne dépositaire de l’autorité publique, chargée d’une mission de service public ou investie d’un mandat électif public, pour qu’elle accomplisse ou s’abstienne d’accomplir un acte de sa fonction, de sa mission ou de son mandat. Est également puni le fait de céder aux sollicitations de la personne publique. Elle est punie des mêmes peines que la corruption passive (art. 433-1 du Code pénal).
Les deux infractions sont autonomes et distinctes, chaque infraction ayant ses propres éléments constitutifs et pouvant être consommée indépendamment de l’accomplissement de l’acte promis (Cour de cassation commission de révision, 6 juin 2011, 10-REV097). Le délit est une infraction formelle qui se consomme indépendamment du résultat (Cour de cassation Chambre criminelle 27 oct. 1997, 96-83.698)
Rachida Dati était eurodéputée au moment des faits. Un député européen peut-il être poursuivi pour corruption passive ?
Un député européen est investi d’un mandat électif public. Il peut être poursuivi pour corruption passive s’il est démontré, d’une part, qu’il a sollicité ou agréé, sans droit, des offres, des promesses, des dons, des présents ou des avantages quelconques pour lui-même ou pour autrui et, d’autre part, que les avantages sont sollicités ou agréés pour accomplir ou avoir accompli, pour s’abstenir ou s’être abstenu d’accomplir un acte de sa fonction, de sa mission ou de son mandat, ou facilité par sa fonction, sa mission ou son mandat. Enfin le député européen doit être animé de l’intention de recevoir des avantages en échange de l’accomplissement ou de l’abstention d’un acte de ses fonctions.
S’agissant de la responsabilité pénale des membres du gouvernement il convient de distinguer selon que les actes ont été commis ou non dans l’exercice de leurs fonctions.
La Constitution ne vise que la première hypothèse (art. 68-1 à 68-3). Elle prévoit que les membres du Gouvernement sont pénalement responsables devant la Cour de justice de la République. Juridiction spéciale constituée par quinze juges dont douze parlementaires élus en leur sein et en nombre égale par l’Assemblée nationale et par le Sénat et trois magistrats du siège à la Cour de cassation, dont l’un préside la Cour de justice de la République.
En revanche, la constitution n’appréhende pas l’hypothèse où les actes auraient été commis en dehors de l’exercice des fonctions ministérielles. Les ministres sont dès lors responsables pénalement devant les juridictions répressives ordinaires.
Quel est le délai de prescription de l’action publique en matière de corruption passive ?
L’évolution législative récente en matière de prescription de l’action publique a été marquée par la réforme introduite par la loi n° 2017-242 du 27 février 2017 portant réforme de la prescription en matière pénale. Pour les délits, l’action publique se prescrit en principe par six années révolues à compter du jour où l’infraction a été commise (art. 8 CPP). Des dispositions spécifiques existent pour les infractions occultes ou dissimulées, ce qui est souvent le cas en matière de corruption. L’article 9-1 CPP dispose ainsi que le délai de prescription de l’action publique de ces infractions court à compter du jour où l’infraction est apparue et a pu être constatée dans des conditions permettant la mise en mouvement ou l’exercice de l’action publique, sans toutefois que ce délai puisse excéder douze années révolues pour les délits et trente années révolues pour les crimes à compter du jour où l’infraction a été commise.
La jurisprudence a confirmé l’application immédiate des nouvelles dispositions de la loi n° 2017-242 du 27 février 2017. Par exemple, dans une décision de la Cour de cassation, il a été jugé que les nouveaux délais de prescription se substituent aux anciens lorsque la prescription n’est pas acquise (Crim.19 juin 2018, 15-85.073 17-85.742 publié au Bulletin).
De même, la Cour de cassation a précisé que l’article 4 de la loi du 27 février 2017, qui a pour finalité d’éviter la remise en cause de la validité des procédures en cours, ne saurait mettre en échec l’application de l’article 112-2, 4°, du Code pénal, et que les faits ne sont pas prescrits si la prescription n’était pas acquise au moment de l’entrée en vigueur de la loi nouvelle (Crim. 13 oct. 2020, 19-97.787, publié au Bulletin).