Affaire Mohamed Amra : le droit au silence
Mohamed Amra, extrait de sa prison pour s’expliquer sur son évasion sanglante le 14 mai 2024 au péage d’Incarville, a choisi ce mercredi, devant ses juges d’instruction, d’invoquer son droit au silence. Un droit prévu par le code de procédure pénale et… garanti par la Constitution.

Qu’est-ce que le droit au silence que Mohamed Amra a opposé aux juges d’instruction ?
Un hélicoptère affrété spécialement. Le Groupe d’intervention de la gendarmerie nationale (GIGN) mobilisé. Et le tribunal judiciaire de Paris cadenassé. Finalement, Mohamed Amra a choisi de ne pas répondre aux questions de fond des trois juges d’instruction qui l’avaient convoqué, mercredi 11 juin, pour s’expliquer sur son évasion sanglante au péage d’Incarville (Orne), le 14 mai 2024, au cours de laquelle deux agents pénitentiaires ont perdu la vie.
Si celui qui se fait appeler « La Mouche » a fait des déclarations liminaires pour dénoncer ses conditions de détention actuelles et le manque de confidentialité lors des échanges avec ses avocats, il a donc fait usage, devant les magistrats, de son droit au silence comme le prévoit l’article 116 du code de procédure pénale, dans son quatrième alinéa. « Lorsque la personne est assistée d’un avocat, le juge d’instruction, après l’avoir informée de son droit de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire, procède à son interrogatoire », dispose-t-il, en effet.
Un droit venu des Etats-Unis et garanti par la Constitution
« Le droit au silence est un principe constitutionnel, rappelle Didier Rebut, professeur de droit et directeur de l’Institut de criminologie et de droit pénal de Paris. C’est-à-dire que le législateur ne peut y déroger sans une nouvelle réforme constitutionnelle. Il est aussi garanti par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme qui établit les conditions d’un procès équitable. »
Dans les faits, ce droit de ne pas s’auto-incriminer devant la justice provient des Etats-Unis qui l’a consacré en 1966. « C’est l’arrêt de la Cour Suprême Miranda v. Arizona, poursuit Didier Rebut. Il a ensuite été importé dans notre droit comme dans d’autres. » A l’époque, Ernesto Miranda avait été condamné pour avoir enlevé et violé plusieurs jeunes filles. Lors du procès, la justice avait retenu les aveux formulés par le suspect alors que celui-ci n’était pas assisté par un avocat et que l’on ne lui avait pas proposé de garder le silence. « Or, en droit américain, on n’a pas le droit de mentir sous peine d’être poursuivi, poursuit le professeur de droit pénal. Le droit au silence a donc été instauré à cette époque-là pour contrebalancer cela. »
Mohamed Amra pourrait répondre à l’avenir
En France, la situation est différente. Un suspect a le droit de mentir comme de ne pas s’exprimer, tout au long de la procédure. Est-ce une bonne chose pour autant ? « Cela dépend de chaque dossier et aussi de la stratégie de défense adoptée, indique Didier Rebut. Mais lorsqu’un mis en cause se tait, il perd l’opportunité de pouvoir affaiblir les éventuelles accusations contre lui qu’on sent poindre derrière les questions des juges… » Parce qu’en dépit du silence qu’ils reçoivent, les magistrats actent chaque question dans leur procédure et continuent d’avancer dans leur enquête. Selon ses avocats, « Mohamed Amra répondra aux questions lorsque la confidentialité de [leurs] échanges sera pleinement garantie. »