Par Benjamin Fiorini, Maître de conférences en droit privé et sciences criminelles à l’Université de Paris 8 Vincennes et spécialiste de droit pénal comparé France/ Etats-Unis. 

Pourquoi Donald Trump a-t-il porté plainte contre The New York Times ?

Le 15 septembre 2025, Donald Trump a porté plainte pour diffamation contre The New York Times, mais aussi contre quatre journalistes du Times et l’éditeur Penguin Random House. Il réclamait au total 15 milliards de dollars de dommages et intérêts, affirmant avoir été diffamé à travers un livre publié en 2024 intitulé Lucky Loser: How Donald Trump Squandered His Father’s Fortune and Created the Illusion of Success, ainsi que par trois articles parus dans le Times peu avant l’élection présidentielle de 2024.

Selon Trump, ces publications présentent une image fausse et malveillante de lui : celle d’un homme d’affaires raté dont la célébrité aurait été artificiellement fabriquée par le producteur télé Mark Burnett, notamment connu pour avoir co-produit l’émission The Apprentice. Il soutient que les auteurs ont ignoré volontairement les preuves de son succès économique et médiatique. Dans le style modéré qui le caractérise, il considère que cette démarche s’inscrit dans une campagne coordonnée de « diffamation à l’échelle industrielle » ayant pour but de nuire à sa réputation, de saboter sa candidature présidentielle et d’influencer les procédures judiciaires en cours contre lui.

Donald Trump peut-il remporter une victoire judiciaire contre le journal ?

Avant de répondre à cette question, il faut souligner que cette plainte s’inscrit dans une stratégie répétée de Donald Trump : il a déjà poursuivi le New York Times à deux reprises durant son premier mandat (en 2020 et 2021), sans succès. D’autres grands médias ont également été visés par ses plaintes, comme CNN (475 millions de dollars réclamés), CBS (20 milliards de dollars réclamés) ou le Wall Street Journal (10 milliards de dollars réclamés). Ces actions peuvent être interprétées comme des tentatives de pression financière sur les médias (procédure-bâillon ou SLAPP pour Strategic Lawsuit Against Public Participation), mais aussi comme un outil de communication politique visant à dénoncer le biais idéologique pro-démocrate plus ou moins avéré de certains médias.

Concrètement, les chances de succès de Donald Trump sont particulièrement minces, car en droit américain, les procès en diffamation intentés par les personnalités publiques contre les médias se soldent souvent par un échec. En vertu de la jurisprudence de la Cour suprême New York Times v. Sullivan (1964) portant sur le Premier Amendement à la Constitution américaine garantissant la liberté d’expression (freedom of speech) et la liberté de la presse (freedom of press), le plaignant doit prouver la présence d’une « malveillance réelle » (actual malice), ce qui revient à démontrer non seulement que les propos litigieux sont faux, mais aussi qu’ils ont été publiés en connaissance de cette fausseté ou avec un mépris délibéré pour la vérité. Il ne suffit donc pas que les affirmations soient inexactes ou qu’elles aient nui à la réputation du 47e président des Etats-Unis : encore faut-il prouver que les journalistes savaient qu’ils mentaient ou qu’ils ont agi avec une imprudence grave, ce qui est juridiquement complexe.

Où en est la procédure ?

Le 19 septembre 2025, soit quatre jours après le dépôt de cette plainte de 85 pages, le juge fédéral Steven Merryday l’a rejetée, la jugeant « inappropriée et irrecevable ». Plus précisément, le juge a estimé que cette plainte constituait un tissu de « vitupérations », d’ « invectives » et d’ « allégations déconcertantes », ne permettant pas de comprendre précisément les griefs avancés par le plaignant. Le juge a ainsi constaté un manquement aux exigences prévues dans la Rule 8(a)(2) des règles fédérales de procédure civile, qui prévoit que la plainte doit contenir une description courte et claire de la demande formulée.

Le juge avait toutefois accordé à Donald Trump et à ses avocats un délai de vingt-huit jours pour déposer une version amendée de la plainte, limitée à quarante pages. C’est désormais chose faite : jeudi 16 octobre, Donald Trump a de nouveau assigné en justice le New York Times, trois de ses journalistes (et non plus quatre) ainsi que la maison d’édition Penguin Random House.