Les « poursuites politiques » aux États-Unis : quelles suites possibles ?
Donald Trump a explicitement annoncé qu’il souhaitait que le Department of Justice poursuive ses ennemis politiques et personnels ; plusieurs l’ont déjà été, et d’autres suivront sûrement. Le système américain de justice offre-t-il des garde-fous contre de tels abus ?
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Par Frederick T. Davis, ancien procureur fédéral et membre des barreaux de New York et de Paris
Qui est poursuivi – ou pourrait l’être – sous Trump ?
Depuis l’élection de 2016, Donald Trump appelle régulièrement à poursuivre ses adversaires politiques ou personnels ; lors de ses meetings de campagne contre la candidate démocrate Hillary Clinton, on entendait souvent des cris de « lock her up » (« mettez-la en prison ») pour son utilisation prétendument irrégulière de serveurs de messagerie. Ces attaques se sont intensifiées durant son second mandat : il profère désormais des menaces très précises contre une large gamme d’adversaires individuels, et a déjà contraint son Department of Justice à engager des poursuites contre certains d’entre eux.
L’ancien directeur du FBI James Comey (critique de Trump) a été inculpé pour fausse déclaration au Congrès, et la procureure générale de l’État de New York, Letitia James (qui a poursuivi Trump et ses entreprises pour fraude), a été inculpée pour fraude présumée dans l’obtention d’un prêt bancaire destiné à l’achat d’une résidence privée. Trump a également exigé que le sénateur Adam Schiff, l’ancien procureur spécial Jack Smith et le philanthrope (et donateur du Parti démocrate) George Soros soient poursuivis.
S’agit-il de « poursuites politiques » ?
M. Comey, Mme James et les autres personnes prises pour cibles par Trump affirment évidemment que les poursuites les visant sont « politiques ». Mais cet argument est invoqué presque chaque fois qu’une personnalité publique est poursuivie. Nul n’a été plus prompt que Trump à prétendre que toutes les poursuites engagées contre lui – notamment deux inculpations fédérales abandonnées par le Department of Justice après sa réélection, et une poursuite de l’État de New York qui a abouti à sa condamnation – relevaient d’une « chasse aux sorcières » fomentée par ses ennemis politiques.
Il n’existe d’ailleurs aucune définition claire de la « poursuite politique ». Contrairement à la France et à plusieurs autres pays, le système fédéral américain ne prévoit pas de procédure formelle régissant les enquêtes sur les actes éventuellement illégaux commis par des titulaires de fonctions publiques. Pour les actes accomplis par un responsable gouvernemental dans l’exercice de ses fonctions, la jurisprudence a élaboré des principes d’immunité ; ainsi, en 2024, la Cour suprême, dans Trump v. United States, a jugé que Trump ne pouvait être poursuivi pour pratiquement aucun acte accompli en tant que président. Cependant, les poursuites visant Comey, James et d’autres – tout comme nombre de poursuites visant Trump – concernent des actes privés. M. Comey, par exemple, est accusé d’avoir menti alors qu’il témoignait comme simple citoyen après sa retraite du service public ; Mme James, elle, est poursuivie pour fraude dans le cadre d’une opération immobilière purement personnelle.
Comparés à leurs homologues étrangers, les procureurs fédéraux américains disposent d’un très large pouvoir discrétionnaire – notamment celui de prendre des décisions qui ne peuvent être contrôlées par un juge. S’ils reconnaissent en général que la décision de poursuivre doit reposer sur des preuves solides de culpabilité (souvent appelée « evidential test ») et qu’elle doit servir « l’intérêt public », aucun texte ne définit ces principes ; en plus, aucun mécanisme procédural ne permet à un juge d’évaluer si une inculpation les respecte. Les procureurs n’ont même pas à justifier ou motiver leur décision de poursuivre.
Lorsqu’une poursuite repose sur des preuves faibles, la principale (et souvent unique) défense du prévenu est d’aller au procès, où le procureur doit présenter des preuves recevables suffisantes pour convaincre à l’unanimité un jury de la culpabilité. Un juge ne peut relaxer pour insuffisance de preuves que dans des cas très limités : uniquement au procès, après la présentation de l’affaire au jury, et seulement si l’un des éléments constitutifs de l’infraction est totalement dépourvu de preuve. Dans un procès avec jury, la décision de culpabilité appartient exclusivement au jury.
En l’absence de tout critère judiciaire de « l’intérêt public », la jurisprudence américaine reconnaît une catégorie extrêmement restreinte de « poursuites sélectives », lorsqu’un accusé soutient que la poursuite est motivée par des raisons inacceptables. Soucieuse de ne pas ouvrir d’enquête judiciaire sur le raisonnement des procureurs, la Cour suprême n’admet un tel examen que dans des circonstances exceptionnelles. Dans United States v. Armstrong, elle a refusé qu’un accusé appartenant à une minorité raciale obtienne l’accès aux dossiers gouvernementaux pour déterminer si la poursuite était discriminatoire, jugeant qu’une telle enquête est interdite à moins de démontrer, de façon « exigeante », une discrimination effective ayant influé sur la décision du procureur. Très peu d’affaires ont satisfait à ce critère draconien.
Que va-t-il se passer dans les affaires en cours ? Et dans les suivantes ?
Les avocats expérimentés de M. Comey ont déposé une requête en annulation de l’inculpation sur plusieurs fondements. L’un d’eux est qu’il s’agit d’une « poursuite vindicative » répondant aux deux critères dégagés par la jurisprudence depuis Armstrong.
Premièrement, ils soutiennent que les propos venimeux et grossièrement personnels de Trump à l’encontre de M. Comey, ainsi que ses appels répétés et spécifiques à le poursuivre, démontrent une intention vindicative réelle. Deuxièmement, ils affirment que la chronologie des événements ayant conduit à son inculpation en septembre 2025 – telle que résumée dans ces pages – prouve que cette animosité a directement causé la décision d’inculper, Trump ayant dû passer outre l’avis de plusieurs procureurs chevronnés estimant qu’aucune charge ne pouvait être retenue, en nommant un avocat personnel pour agir comme procureur. L’argument est solide : il pourrait aboutir à l’annulation de l’inculpation ; pire encore pour Trump, le tribunal pourrait ordonner la communication des dossiers internes du gouvernement relatifs à cette décision, ce qui serait politiquement embarrassant. M. Comey soutient également que le procureur a été nommé illégalement et n’avait donc pas compétence pour obtenir son inculpation ; sur le fond, l’affaire contre lui paraît particulièrement dérisoire. (L’acte d’accusation est d’une telle imprécision qu’il en devient incompréhensible : il allègue, sans précision, que M. Comey a menti en affirmant en septembre 2020 qu’il n’avait pas « autorisé quelqu’un d’autre au FBI à être une source anonyme pour des articles de presse », alors qu’il aurait en réalité autorisé « Personne 3 » à le faire. Le procureur a depuis identifié « Personne 3 » comme étant mon collègue Daniel Richman, professeur à Columbia Law School et non employé du FBI. De façon remarquable, le rôle de M. Richman est public depuis juin 2017, lorsque M. Comey l’a évoqué dans son témoignage – confirmé par M. Richman lui-même – et décrit dans le livre de M. Comey de 2018, A Higher Loyalty.) L’acte d’accusation échouera donc, d’une manière ou d’une autre, même si ce n’est pas sur le terrain de la « poursuite politique ».
L’affaire visant Mme James est plus complexe, et tous les détails ne sont pas encore publics. En 2020, elle a acheté une modeste maison en Virginie au moyen d’un prêt bancaire. L’acte d’accusation lui reproche d’avoir coché une case indiquant qu’elle achetait la maison comme résidence secondaire personnelle ; ce statut lui permettait d’obtenir un taux d’intérêt légèrement plus bas que pour un investissement locatif, et un document annexe interdisait apparemment une location commerciale. Elle a ensuite déclaré avoir perçu certains revenus liés à cette maison, mais il semble qu’il ne s’agissait pas d’une location commerciale au sens habituel, mais plutôt une mise à disposition d’une nièce. Il est donc possible qu’une infraction purement technique soit constituée, mais il est hautement improbable qu’un jury la condamne si elle explique qu’il s’agissait d’une opération familiale. En réalité, ses actes sont de minimis. Et l’ironie est manifeste : Mme James a elle-même mené l’offensive pour démontrer que Trump et ses entreprises avaient commis des mensonges analogues envers les banques à une échelle colossale, portant sur des centaines de millions de dollars. Mais elle aura peut-être plus de mal que M. Comey à obtenir un non-lieu avant un examen au fond dans un procès.
En définitive, ces poursuites ont très peu de chances d’aboutir à des condamnations. Elles pourraient même tourner à l’embarras pour Trump, notamment celle visant M. Comey. Mais le système juridique américain n’offre aucun moyen simple pour M. Comey ou Mme James de se débarrasser des inculpations : elles leur causeront inévitablement un grand stress et des coûts considérables. Et, plus grave encore, le temps et les manœuvres procédurales qu’elles impliqueront – y compris d’éventuels appels du Department of Justice de Trump contre toute décision d’abandon – signifient que Trump ne sera nullement dissuadé de poursuivre d’autres de ses ennemis.