Les droits de douane de Trump jugés « illégaux » : le monde entier a les yeux rivés sur la Cour Suprême
Une cour d’appel fédérale a jugé illégaux les droits de douanes « réciproques » imposés par Donald Trump à l’occasion du fameux « jour de la libération ». Malgré ce jugement, les droits de douanes restent en vigueur au moins jusqu’à la mi-octobre, dans l’attente d’une décision de la Cour suprême.
Publié le | Modifié le
Par Anne Deysine, Professeur émérite de l’Université Paris-Nanterre, Auteure de « Les juges contre l’Amérique » (Presses Universitaires de Paris-Nanterre)
La décision de la cour d’appel est-elle un coup dur pour l’administration Trump ?
Les médias ont semble-t-il accordé beaucoup d’importance à cette décision de la Cour d’appel pour le circuit federal (CAFC) qu’il importe de nuancer. Car les droits de douane contestés par plusieurs Etats et des entreprises sont entrés en vigueur. Les ordonnances de blocage prises en première instance ont été mises en suspens durant le processus d’appel (par l’administration Trump). Ils restent en vigueur au moins jusqu’au 14 octobre de façon à permettre à la Cour suprême d’examiner l’affaire.
De qui relèvent le commerce international et les droits de douane ?
La Constitution est claire : c’est au Congrès qu’il appartient de voter des lois sur ces sujets, mais dans les années 1960/1970, il a autorisé le président à agir quand il fallait aller vite. Ce sont les lois « fast track » ou « Trade promotion Authority » (TPA) ainsi que les lois déléguant au président certains pouvoirs de façon ponctuelle comme les lois commerciales (Trade Act) de 1974 ou le Trade Expansion Act (TEA) et sa section 232.
Le cas de la loi sur les pouvoirs économiques d’urgence (IEEPA) invoquée par Donald Trump pour imposer des droits tous azimuts sur quasiment tous les pays de la planète est un cas particulier. La loi est prévue pour les situations d’urgence et l’objectif du Congrès à l’époque était de limiter les pouvoirs du président par rapport à une autre loi existante (Trading with the Enemy Act). Le texte prévoit, en cas de vraies urgences, la possibilité pour le président de déclarer un embargo par exemple, mais ne mentionne nulle part les droits de douane. Quant à considérer que le « dramatique déficit commercial » invoqué par le président constitue une urgence, ce serait oublier que celui-ci n’est pas nouveau et existe depuis plusieurs décennies.
En première instance, la cour du commerce international (CIT) avait conclu à l’illégalité et suspendu la mise en œuvre du décret, mais la cour d’appel pour le circuit fédéral (CAFC), compétente pour ces sujets sur tout le territoire américain (saisie par l’administration), a bloqué l’ordonnance de blocage de la CIT durant le processus d’appel. Dans sa décision, elle confirme que les questions de droits de douane relèvent bien de la cour du commerce international (CIT). Elle s’appuie sur « l’histoire législative » (les motivations du Congrès pour voter la loi IEEPA) et la séparation des pouvoirs pour conclure à l’abus de pouvoir par le président Trump. Tous les droits de douane sont illégaux sauf ceux imposés en vertu de la section 232 du TEA.
Que va faire la Cour suprême ?
L’administration Trump a à nouveau demandé à la cour d’intervenir en procédure d’urgence, comme elle l’a déjà fait une vingtaine de fois en sept mois, soit beaucoup plus que ses prédécesseurs. Ce qui traduit bien la conviction de Donald Trump selon laquelle la Cour suprême (dont il a nommé 3 juges) est à son service pour lui permettre de faire ce qu’il veut sans aucun contrôle ni contre-pouvoir. Si celle-ci n’acceptait pas ce recours d’urgence, ce serait un vrai cataclysme pour l’administration Trump, car le 14 octobre, les droits de douane tomberaient et l’administration devrait rembourser les sommes perçues indûment. Trump perdrait alors son instrument favori : menaces/chantage/coercition.
Mais l’administration peut demander un examen au fond (merits case) en faisant une demande de certiorari, ce qui laisserait les droits de douane en place jusqu’à ce que la Cour rende sa décision. En conséquence, la décision de la CAFC est importante sur le fond, mais elle ne change pas grand-chose à la situation à court et moyen terme. Ainsi que Trump l’a écrit en lettres majuscules sur son réseau Truth Social, « Les droits de douane demeurent en vigueur » et la décision a, sans surprise, été rendue par une cour «partisane». Si la Cour suprême accepte l’affaire, le président, le Chief Justice Roberts sera confronté à un vrai dilemme. Soit la Cour conclut à la légalité des droits de douane pris en vertu de la loi IEEPA, déjuge ses collègues de première instance et d’appel qui ont rendu des décisions étayées et motivées et continue alors à renforcer la « présidence unitaire » voulue par les conservateurs. Soit, conscient des dangers d’une présidence toute puissante qui refuse les contrepouvoirs inscrits dans la Constitution, Roberts décide de mettre un frein à la stratégie de Trump ; il lui faudra alors convaincre au moins un de ses collègues, B. Kavanaugh ou Amy C. Barrett, de voter avec lui et les trois progressistes. Il aura le même dilemme dans l’affaire de Lisa Cook, la gouverneur de la réserve fédérale (Fed), limogée par Trump (sur de vagues allégations et pour des raisons politiques) qui conteste son licenciement en justice.
La vraie question dans ces deux affaires en particulier est l’attitude de l’administration si la Cour conclut à l’illégalité des actes du président, en l’occurrence les droits de douane dans l’une et le licenciement dans l’autre. Trump et son administration vont-ils obéir et se conformer à ces décisions ? Ou bien la Cour suprême a-t-elle trop attendu pour faire passer le message à l’administration qu’il existe des limites au pouvoir du président des Etats-Unis ?