Par Daniel Gutmann, Professeur à l’Ecole de droit de la Sorbonne ; avocat associé, CMS Francis Lefebvre

Quel est le mécanisme de la taxe figurant dans le projet de loi de finances ?

La taxe proposée par le Gouvernement serait un impôt destiné à frapper le patrimoine d’une société française ou étrangère détenue à plus de 33,33% par des personnes physiques et dont plus de 50% des revenus sont « passifs », en ce sens qu’il ne s’agit pas de revenus d’activité. Serait ainsi visée une société soumise à l’impôt sur les sociétés dont l’essentiel des revenus provient notamment de dividendes, d’intérêts, de loyers, de droits d’auteur ou encore de plus-values.

La taxe serait payée par l’entité, sauf – curieusement – lorsque l’entité est étrangère, auquel cas elle serait due par les personnes physiques fiscalement domiciliées en France qui en sont associées.

La taxe ne s’appliquerait que lorsque la valeur réelle des actifs détenus par la société dépasse 5 millions d’euros. Il est prévu que son taux soit de 2%. Ce taux s’appliquerait à la valeur des actifs de la société, à l’exception notamment des biens affectés à l’exercice d’une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale.

Dans quel esprit la « taxe sur les holdings » a-t-elle été conçue?

Lorsqu’une société est soumise à l’impôt sur les sociétés (IS), ses bénéfices, qu’ils proviennent d’une activité industrielle ou de la simple détention d’un patrimoine financier, sont imposables entre ses mains. Les associés d’une société soumise à l’IS ne deviennent imposables à leur tour que lorsque cette société leur distribue des dividendes. Ainsi, en l’absence de distribution, les personnes physiques qui détiennent des parts ou actions de sociétés soumises à l’IS n’acquittent pas d’impôt sur le revenu, ce qui est logique puisqu’elles n’ont pas de revenu.

Ce système peut être utilisé de façon stratégique lorsqu’une personne physique contrôle une société soumise à l’IS. Ce contrôle lui permet en effet d’influer sur la politique de distribution et donc, indirectement, de décider du moment auquel elle supportera effectivement l’impôt sur le revenu.

Confronté à cette faculté de « pilotage » de la charge fiscale, le législateur a plusieurs fois tenté d’instituer des mécanismes permettant de taxer l’associé comme s’il avait perçu une distribution de la société qu’il contrôle. Le Conseil constitutionnel a toutefois estimé, notamment dans des décisions relatives au plafonnement de l’imposition de la fortune en fonction des revenus, que le principe de respect des capacités contributives s’oppose à ce qu’une personne soit imposée sur un revenu non réalisé (sauf montage abusif).

Le projet du Gouvernement tente de surmonter cet obstacle constitutionnel en taxant, non les personnes physiques sur des revenus réputés perçus, mais les personnes morales sur le patrimoine qu’elles ont acquis grâce aux bénéfices non distribués aux associés.

L’objectif de la taxe consiste ainsi, selon l’exposé des motifs du projet de loi, à « faire échec aux stratégies de contournement de l’impôt [sur le revenu] par la thésaurisation de revenus non distribués dans des sociétés, ces revenus échappant ainsi à l’impôt ».

Le choix d’une assiette patrimoniale s’explique quant à lui par l’idée, exposée dans l’évaluation préalable du projet de loi de finances, que « l’interposition de sociétés holdings patrimoniales permet de détenir indirectement un patrimoine constitué grâce à des revenus accumulés dans ces sociétés qui, n’étant pas distribués, n’ont pas été imposés à l’impôt sur le revenu au nom des associés personnes physiques ».

Au vu de ce qui précède, la « taxe sur les holdings » porte un nom très réducteur : si elle est certes susceptible de viser des sociétés « holdings » c’est-à-dire des sociétés qui détiennent des filiales susceptibles de leur verser des dividendes, elle inclut en réalité dans son champ bien d’autres sociétés qui n’ont aucune filiale mais peuvent néanmoins recevoir des revenus « passifs » autres que des dividendes.

La construction de la taxe est par ailleurs perfectible car avec 33,33% de participation, on ne peut supposer de façon générale, comme le fait le projet de loi, qu’une personne physique contrôle les distributions susceptibles de lui être faites.

La « taxe sur les holdings » est-elle une forme de « taxe Zucman » ou un nouvel ISF?

Pour répondre à cette question, il faut commencer par définir ce qu’on entend par « taxe Zucman ». Précaution d’importance, puisque deux mécanismes présentés comme inspirés par le célèbre économiste ont successivement été adoptés par l’Assemblée nationale dans un passé récent. Le premier, adopté en octobre 2024 lors des débats à l’Assemblée avant que celle-ci ne finisse par rejeter la première partie du projet de loi de finances pour 2025, visait à introduire une taxe de 2% sur la fraction du patrimoine des personnes physiques supérieure à 1 milliard d’euros. Le second, voté par l’Assemblée en février 2025 mais rejeté ultérieurement par le Sénat, constitue la version de la « taxe Zucman » qui cristallise aujourd’hui le débat : il s’agit d’une contribution qui s’ajouterait à l’impôt sur le revenu, à la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus, aux prélèvements sociaux et à l’impôt sur la fortune immobilière pour faire en sorte que les personnes physiques disposant d’un patrimoine de plus de 100 millions d’euros acquittent un montant cumulé d’impôts directs égal à 2% de leur patrimoine.

La « taxe sur les holdings » et la « taxe Zucman » ont en commun un chiffre symbolique (le taux de 2%) et un objectif ultime : l’imposition effective des personnes physiques détenant un patrimoine élevé. Pour le reste, leur philosophie est très différente.

Tandis que la « taxe Zucman » est un mécanisme d’imposition minimale de la fortune au moyen d’un cumul d’impôts directs, la taxe sur le patrimoine des holdings n’a pas pour objectif premier de taxer la fortune. Elle vise plutôt à remédier à un défaut (réel ou supposé) du fonctionnement de l’impôt sur le revenu  en présence de stratégies de thésaurisation de certains revenus dans des structures soumises à l’IS.

Tandis que la « taxe Zucman » porte sur les actifs professionnels comme sur les actifs patrimoniaux, la « taxe sur les holdings » n’entend frapper que le patrimoine non affecté à l’activité opérationnelle.

Enfin, le seuil d’application de la « taxe sur les holdings » est 20 fois plus faible que celui de la « taxe Zucman ».

La « taxe sur les holdings » ne signe pas davantage le retour de l’ISF, même si elle est assise sur des valeurs patrimoniales. La meilleure preuve, c’est que même si cette taxe était établie, tous les actifs financiers détenus directement par les individus resteraient hors du champ de l’impôt sur la fortune en sa forme actuelle. Il est vrai, en revanche, que les personnes associées de holdings étrangères, que le projet rend redevables de la taxe en lieu et place de la société holding, pourront légitimement s’estimer soumises à une nouvelle forme d’imposition de leur patrimoine.