fbpx
skip to Main Content

Devoir de vigilance, par Diane Lamarche, avocat associée White & Case LLP, Félix Thillaye et Henri Veillon, avocats collaborateurs White & Case LLP, partenaires du Club des juristes

Devoir de vigilance – Une fin de non-recevoir pleine d’enseignements

Alors qu’il lui était proposé d’endosser les habits de gardien des « buts monumentaux de protection des droits humains et de l’environnement », le tribunal judiciaire de Paris s’en est plus modestement tenu à ses pouvoirs de juge des référés dans ses deux jugements du 28 février 2023 rendues en matière de devoir de vigilance. Saisi en référé par 6 ONG françaises et ougandaises, le tribunal devait statuer sur une demande visant à faire injonction à TotalEnergies SE (TTE) d’amender son plan de vigilance 2021 afin d’y intégrer plus précisément les risques et les mesures d’atténuation associés aux projets de forage baptisés « Tilenga » et « EACOP » en Ouganda et en Tanzanie. Dans cette attente, les demanderesses avaient sollicité la suspension des travaux afférents auxdits projets par TTE « via un ordre donné aux filiales et leurs sous-traitants ».

Les nombreuses questions juridiques, politiques et philosophiques suscitées par cette demande se devaient toutefois de passer le filtre de la recevabilité pour être tranchées par un juge. Et c’est sur ce point que la demande est déboutée : le tribunal a en effet considéré que les prétentions formulées par les demanderesses dans le dernier état de leurs écritures portaient sur le plan de vigilance de TTE publié en 2021 alors que la lettre de mise en demeure à l’origine de l’instance visait le plan de vigilance publié en 2018.

Pour parvenir à cette conclusion aux premiers abords formaliste, le tribunal s’est longuement interrogé sur la ratio legis de l’article L. 225-102-4 II du Code de commerce qui conditionne la saisine des juridictions en matière de devoir de vigilance à l’envoi d’une mise en demeure restée sans réponse pendant un délai de 3 mois. Dans cette quête de l’esprit de la loi, le juge a d’abord constaté sa grande solitude en énumérant pêle-mêle l’absence de principe directeur, d’instrument de mesures, de référentiel, ou d’organisme de contrôle indépendant pour l’aider à apprécier la juste application de ce texte. Le constat est sans appel : « cette législation assigne ainsi des buts monumentaux de protection des droits humains et de l’environnement à certaines catégories d’entreprise précisant a minima les moyens qui doivent être mis en œuvre pour les atteindre ».

Le silence, l’obscurité ou l’insuffisance de la loi ne permettant toutefois pas au juge de se départir de son office, le tribunal s’est saisi de l’alinéa 4 de l’article L. 225-102-4 II du Code de commerce comme d’une véritable boussole pour élaborer son raisonnement. De cette disposition, qui prévoit que « le plan a vocation à être élaboré en association avec les parties prenantes de la société », le juge a déduit que la mise en demeure préalable aménagée par la loi « a pour objectif d’instituer une phase obligatoire de dialogue et d’échange amiable au cours de laquelle la société pourra répondre aux critiques formulées à l’encontre de son plan de vigilance et lui apporter les modifications nécessaires ».

La majeure étant posée, le tribunal conclut que le défaut de mise en demeure préalable portant sur le plan de vigilance de TTE de 2021 « ne peut ainsi qu’entraîner l’irrecevabilité de la demande d’injonction formée auprès du juge ». Loin d’être une simple formalité, la mise en demeure préalable est donc perçue par le tribunal comme une étape fondamentale du processus collaboratif souhaité par le législateur dans l’élaboration et la mise à jour régulière du plan de vigilance – conditionnant en l’espèce l’accès à sa juridiction.

Peut-être par crainte de ne pas être compris par le grand public, le juge des référés a rappelé à titre surabondant qu’il ne disposait en tout état de cause pas du pouvoir juridictionnel pour trancher les questions de fond qui lui étaient soumises sur le contenu du plan de vigilance. Sur ce point, le tribunal s’est livré à un remarquable exercice pédagogique pour rappeler l’étendue et les limites du pouvoir du juge des référés.

Alors que le fond n’a pas été abordé, ces développements mettent en lumière le rôle plus que délicat du juge dans l’appréciation de la bonne application de la loi relative au devoir de vigilance.

Diane Lamarche, avocat associée White & Case LLP, Félix Thillaye, avocat collaborateur White & Case LLP et Henri Veillon, avocat collaborateur White & Case LLP

Back To Top
×Close search
Rechercher