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Le risque de désunion du Royaume-Uni

Par Alexandre Guigue, maître de conférences HDR en droit public, Centre de recherche en droit Antoine Favre, Université Savoie Mont Blanc, et auteur en 2020 de l’ouvrage « Les finances publiques du Royaume-Uni » aux éditions Bruylant

Le référendum de 2016 sur le maintien du Royaume-Uni dans l’Union européenne a bouleversé les fragiles équilibres sur lesquels repose l’union entre l’Angleterre, l’Écosse, le pays de Galles et l’Irlande du Nord. Belfast et surtout Edimbourg pressent le gouvernement de Boris Johnson en vue de la tenue de référendums qui pourraient désunir le royaume. Pour l’heure, le droit constitutionnel britannique se dresse encore comme un rempart face aux nationalistes.

Quelle est la situation de l’union au Royaume-Uni ?

Le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord repose sur l’union de quatre nations et sur des équilibres subtils qui échappent aux catégories des juristes continentaux.

L’union de l’Angleterre et de l’Écosse remonte à 1603 (union des royaumes) et à 1707 (union politique), même si le droit écossais et le droit anglais sont demeurés distincts. Au pays de Galles, l’union a été formalisée dès 1536 et 1543 et la proximité avec l’Angleterre est telle que le droit anglais désigne le droit en vigueur dans les deux pays. Le cas de l’Irlande du Nord est à part. L’union entre la Grande-Bretagne et l’Irlande date de 1800 avec le maintien d’une séparation juridictionnelle. Après une longue période de tensions, la loi de 1920 a organisé l’autonomie juridique de l’Irlande et créé deux Parlements jumeaux, l’un au sud et l’autre au nord.

Pendant plusieurs décennies, l’union était caractérisée par une forte centralisation mais une réforme territoriale d’ampleur a été amorcée par le gouvernement Blair en 1997. Les lois de dévolution de 1998 ont transféré des pouvoirs législatifs, exécutifs et fiscaux aux trois nations hors Angleterre et les ont dotées d’un nouveau statut dans une union préservée. Le référendum sur le maintien de l’Écosse en 2014 a achevé de cimenter l’union, avec la défaite des indépendantistes, les partis concernés considérant que le scrutin avait réglé la question « pour une génération ». Mais c’était sans compter avec un autre référendum, organisé deux ans plus tard : le référendum sur le maintien du Royaume-Uni dans l’Union européenne.

Pourquoi l’union du Royaume-Uni est-elle en danger ?

Le référendum de 2016 a révélé une fracture entre, d’un côté, l’Angleterre et le pays de Galles (respectivement 53,4 % et 52,5 % en faveur de la sortie) et, de l’autre, l’Écosse et l’Irlande du Nord (respectivement 62 % et 55,8 % en faveur du maintien). Mais comme il s’agit d’un référendum à l’échelle du Royaume-Uni, seul compte le résultat total (51,9 % en faveur du Brexit). L’acceptation de la décision du peuple par le Parlement de Westminster a conduit au Brexit et obligé l’Écosse et l’Irlande du Nord à sortir de l’Union européenne contre l’avis de leur population.

Pour le parti nationaliste écossais (SNP), très largement majoritaire au Parlement d’Holyrood, le Brexit constitue « un changement matériel de circonstance » (déclaration de Nicola Sturgeon, 2 juin 2016) qui justifie la tenue d’un nouveau scrutin sur l’avenir de l’Écosse. Mais ils font face à un gouvernement conservateur inflexible et la préparation du Brexit a aggravé la situation. La Cour suprême est intervenue à plusieurs reprises et a rendu des décisions favorables à l’union. Les premiers requérants avaient fondé beaucoup d’espoir sur la convention Sewel qui avait été consacrée par le Scotland Act (section 28(8)) et aux termes duquel le Parlement de Westminster n’est pas censé légiférer dans les matières dévolues sans l’accord des assemblées concernées. Mais la Cour suprême a jugé que la convention n’avait qu’une portée politique et qu’il en résultait que les trois nations n’avaient pas leur mot à dire s’agissant du Brexit (R (Miller & others) v Secretary of State for Exiting the European Union [2017] UKSC 5). Ensuite, la loi organisant la sortie (EU Withdrawal Act 2018) a tenu les autorités dévolues à l’écart du rapatriement des compétences transférées à l’UE. Saisie pour statuer sur les initiatives contraires des législateurs écossais et gallois, la Cour suprême a confirmé leur mise à l’écart en se réfugiant derrière le principe de la souveraineté du Parlement de Wesminster (The UK Withdrawal from the European Union (Legal continuity) (Scotland) Bill, A Reference by the Attorney General and the Advocate General for Scotland (Scotland)[2018] UKSC 64). La tension est alors encore montée d’un cran entre Londres et Édimbourg, sur fond de dialogue de sourds.

Pour l’Irlande du Nord, le Brexit ajoute un danger supplémentaire : celui du retour possible d’une forme de frontière entre le nord et le sud avec une mise à mal de l’accord du Vendredi Saint de 1998. Cette petite zone du nord de l’île d’Irlande a logiquement concentré l’attention de l’Europe tout entière entre 2016 et 2020. Après le problème posé par le fameux Backstop négocié par Theresa May et son remplacement par un mécanisme complexe à l’initiative de Boris Johnson, c’est encore l’Irlande du Nord qui focalise l’attention début 2021 en raison des frictions relatives au commerce vers l’Irlande du Nord. Celles-ci ont mis tout le monde en colère à Belfast, unionistes comme nationalistes (voir A. Antoine sur cette question, Club des Juristes). La perspective d’un référendum de réunification avec l’Irlande a même refait surface dans un contexte où les nationalistes et le Sinn Féin ont remporté des victoires historiques à Belfast et à Dublin (2019 et 2020) et où la question de la réunification transcende les clivages religieux.

Que peut-il se passer en Écosse et en Irlande du Nord ?

L’Irlande du Nord est la seule des trois composantes pour laquelle le Parlement de Westminster a prévu la possibilité d’un référendum dont l’objet serait une réunification irlandaise (section 1(1) du Northern Ireland Act 1998) mais celui-ci ne peut être activé que par le Secrétaire d’État en charge de l’Irlande du Nord dès lors qu’il lui apparaîtrait vraisemblable qu’une majorité soutiendrait la réunification. Après la High Court en 2018, la Cour d’appel de Belfast a douché les espoirs des nationalistes désireux de forcer la main de Londres en décidant que la loi de 1998 donne au Secrétaire d’État un pouvoir discrétionnaire et qu’il n’a pas à justifier son refus d’organiser un référendum, même en cas de sondages très favorables (Mccord, Re Application for Judicial Review [2020] NICA 23). Il y a donc peu de chance qu’un référendum soit organisé à moyen terme. En revanche, l’exaspération de la population, des entreprises et de l’ensemble des partis politiques nord-irlandais face aux conséquences du Brexit est source d’inquiétudes. Des mesures protectrices de l’économie et un approfondissement de la dévolution, par exemple dans le sens du fédéralisme, pourraient peut-être préserver les fragiles équilibres issus de l’accord de 1998.

À Édimbourg, le danger immédiat pour l’union est peut-être plus grand encore à l’approche des élections législatives qui doivent se tenir le 6 mai 2021. Si celles-ci ne laissent pas de place au suspense en raison de la domination du SNP depuis plus de dix ans, le spectre de l’indépendance plane sur la campagne. Pour Nicola Sturgeon, une victoire achèverait de légitimer la tenue d’un nouveau référendum et si Londres devait se montrer encore inflexible, la pression pourrait s’accentuer, surtout que les sondages penchent désormais en faveur de l’indépendance. Dans ce contexte, la question de savoir si le gouvernement écossais peut organiser un nouveau référendum sans l’aval de Londres refait surface. Si le scrutin de 2014 était issu d’un accord entre Londres et Édimbourg, l’opposition persistante du gouvernement conservateur a conduit certains membres du SNP à plaider pour une initiative unilatérale. Mais, encore une fois, les velléités de désunion se heurtent au droit puisque le Scotland Act fait expressément de l’union une compétence réservée de Westminster. Une question intéressante qui mériterait néanmoins d’être éclaircie par les juges serait de savoir si le gouvernement écossais a le pouvoir d’organiser un référendum purement consultatif. Dépourvue de caractère contraignant, une telle consultation n’empièterait a priori pas sur la compétence de Londres. Gageons toutefois que la Cour suprême du Royaume-Uni ferait encore preuve de fermeté pour sauver l’union, à l’image de la Cour constitutionnelle de Madrid qui s’est dressée en 2017 contre les initiatives de Barcelone. Sur ce point, contrairement à ce qui est parfois avancé, les risques concernent aussi Bruxelles puisqu’une Écosse indépendante ne manquerait pas de demander à être (ré)intégrée à l’UE. Une telle démarche impliquerait de nouvelles négociations avec le Royaume-Uni pour organiser des relations frontalières encore plus complexes et constituerait alors un beau casse-tête pour les négociateurs de Londres, d’Édimbourg et de Bruxelles.

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