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Adopter la réforme des retraites par amendement gouvernemental : une solution risquée juridiquement et politiquement

Par Pierre Egea – Professeur à l’Université Toulouse 1 Capitole

Alors que le Président a laissé entendre que la réforme des retraites pourrait être adoptée par la voie d’un amendement dans le Projet de Loi de Financement de la Sécurité Sociale, plusieurs voix se sont exprimées regrettant que l’adoption d’un projet autonome ne soit pas retenue. Qu’en est-il juridiquement et politiquement ?

La réforme des retraites peut-elle être votée par le biais d’un amendement gouvernemental dans le Projet Loi de Financement de la Sécurité Sociale (PLFSS) ?

Issues de la nécessité de trouver un équilibre entre le principe de la gestion paritaire de la protection sociale (c’est-à-dire la gestion par des représentants des employeurs et des employés) et celui du contrôle par le Parlement de l’emploi des ressources fiscales, les LFSS ont été créées par la révision constitutionnelle du 22 février 1996, sur le modèle des lois de finances. Comme les lois de finances, elles sont soumises en premier lieu à l’Assemblée nationale. Le Parlement y est constitutionnellement contraint par un calendrier serré de sorte que s’il ne s’est pas prononcé dans un délai de cinquante jours, les dispositions du projet peuvent être mises en œuvre par ordonnance gouvernementale (art. 47-1 de la Constitution). Enfin, comme pour les lois de finances, les LFSS peuvent être adoptées par la voie de l’article 49 alinéa 3 de la Constitution sans épuiser la réserve de l’usage de cette procédure pour un autre projet ou une proposition de loi par session. Pour mémoire, ce dernier article constitutionnel permet au Gouvernement d’adopter un projet de loi sans vote du Parlement, sous réserve qu’aucune motion de censure n’ait été votée par les parlementaires dans les 24 heures suivant le dépôt dudit projet de loi.

Les facilités procédurales octroyées aux LFSS posent inévitablement la question de leur champ. Il s’agit en effet de s’assurer que le Gouvernement n’éprouve pas la tentation d’intégrer dans les LFSS des dispositions qui n’y ont pas leur place sous la forme de « diverses dispositions d’ordre social » votées en catimini. A cet égard, le droit d’amendement est largement reconnu par l’article 44 alinéa 1 de la Constitution mais il est limité par une considération fondamentale, il doit être en rapport de cohérence avec le texte qu’il s’agit précisément d’amender. Censurant les « cavaliers législatifs », le Conseil constitutionnel rappelle dans une jurisprudence constante depuis la décision n° 85-198 DC du 13 décembre 1985, l’exigence constitutionnelle d’un lien entre un amendement et un projet de loi en discussion. Appliquée aux LFSS, il s’agit de s’assurer que des dispositions du texte ne soient pas étrangères au domaine de la LFSS.

Or, ce domaine est à la fois concentré dans sa délimitation et imprécis dans ses définitions. La délimitation est celle de l’article 34 de la Constitution modifié par la révision de 1996 qui dispose que « Les lois de financement de la sécurité sociale déterminent les conditions générales de [l’] équilibre financier [de la sécurité sociale] et, compte tenu de leurs prévisions de recettes, fixent ses objectifs de dépenses, dans les conditions et sous les réserves prévues par une loi organique ». Le statut des LFSS ainsi délimité laisse à la loi organique (les articles LO 111-3 à LO 111-10-2 du Code de la sécurité sociale) le soin d’apporter des précisions complémentaires qui vont plutôt dans le sens de l’extension comme en témoigne la réforme organique du 2 août 2005 ainsi que la récente loi organique modificative du 14 mars 2022. Le champ des LFSS dépend en somme de l’interprétation de notions peu ou mal définies.

Il en résulte une incertitude sur le sort d’une réforme des retraites qui serait votée par un amendement dans le projet de LFSS. On peut, sans grand risque de se tromper, estimer que celles des dispositions qui auraient une incidence financière directe ou indirecte sur les comptes de la sécurité sociale telles que la durée de cotisation ou le minimum de pension entrent dans le champ des LFSS. Au-delà, l’incertitude est reine. Il est en tous cas à peu près certain qu’une réforme ambitieuse contiendrait des dispositions sans réels points de contact avec le cœur de la LFSS, faisant naître un risque sérieux d’invalidation par le Conseil constitutionnel.

Quelles sont les différences entre le vote d’un projet de loi sur la réforme des retraites et celui d’un simple amendement et les avantages pour le Gouvernement ?

Réformer le régime des retraites par voie d’amendement dans un projet de LFSS comporte d’incontestables avantages procéduraux. Ils tiennent en premier lieu au régime de la LFSS lui-même qui enserre le débat parlementaire dans des délais stricts : la première lecture doit être achevée vingt jours après le dépôt à l’Assemblée nationale et quinze jours après la transmission au Sénat. Les navettes sont dépêchées en deux semaines et la commission mixte paritaire peut être réunie après une seule lecture. En tout le Parlement dispose d’un délai de 50 jours au-delà duquel le projet peut être pris par ordonnance gouvernementale.

Ensuite de la contrainte temporelle propre à la LFSS, la voie de l’amendement permet d’échapper aux exigences qui affectent la préparation d’un projet de loi par le Gouvernement : l’avis du Conseil d’État, obligatoire en cas de dépôt d’un projet, est contourné ; le Gouvernement fait en outre l’économie de l’étude d’impact que la loi organique du 15 avril 2009 impose de joindre au dépôt d’un projet devant la première assemblée saisie.

En somme, le choix de réformer par voie d’amendement offre le double avantage de la célérité – le texte serait finalement adopté en 50 jours – et de la simplicité, l’amendement n’étant soumis ni à l’avis du Conseil d’État, ni à une étude d’impact. Compte tenu de la composition de l’Assemblée nationale et de la volonté manifestée par une partie non négligeable des députés d’en découdre sur un sujet hautement controversé, la solution d’agir par voie d’amendement en déclenchant une « guerre éclair » plutôt qu’un conflit au long cours, est particulièrement tentante pour un Gouvernement sans majorité absolue.

Quels sont les risques encourus par le Gouvernement s’il faisait le choix de l’amendement dans le projet de LFSS pour réformer le régime des retraites ?

Si l’on fait abstraction du risque proprement juridique – celui du « cavalier législatif » – qui pèse sur un tel choix, il faut considérer les implications politiques. Elles sont importantes tant structurellement que conjoncturellement. D’abord, il est notoire que les parlementaires n’apprécient guère les règles du parlementarisme rationalisé. Le vote bloqué, les dispositions procédurales en matière de loi de finances et de LFSS, la procédure de l’article 49 alinéa 3 de la Constitution sont autant d’irritantes limites au débat parlementaire et manifestent l’imperium du Gouvernement. Le choix de réformer les retraites via le vote de la LFSS est une manifestation évidente de l’emprise du Gouvernement sur la procédure législative. Contraints de débattre dans des délais très brefs, les parlementaires, y compris ceux de la majorité présidentielle, pourraient être tentés par l’abstention sinon l’obstruction, ne laissant au Gouvernement d’autre choix que d’engager sa responsabilité sur le vote du texte par la mise en œuvre de l’article 49 alinéa 3 de la Constitution.

Dans la mesure où le choix procédural de l’amendement dans le projet de LFSS a été présenté comme une alternative sérieuse et constructive à l’article 49 alinéa 3, la manœuvre risque de tourner à la confusion pour les stratèges qui l’ont élaborée. D’une part, la réunion d’une majorité des membres composant l’Assemblée nationale en faveur de la motion de censure ne peut, dans ce contexte singulier, être totalement écartée. D’autre part, il serait de toute façon difficile, dans l’hypothèse où la motion de censure n’était pas adoptée, de ne pas voir dans cet enchaînement procédural (amendement + article 49 alinéa 3) un véritable « passage en force » avec les conséquences sociales qui en découleraient inévitablement.

 

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