Par Samir Merabet, Professeur, de droit privé et sciences criminelles à l’Université des Antilles. 

Quelles sont les missions et compétences de l’INESIA ?

L’INESIA réunit des experts issus de diverses institutions : l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI), l’Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique (Inria), le Laboratoire national de métrologie et d’essais (LNE) ainsi que le Pôle d’expertise de l’INESIA a vocation à jouer un rôle uniquement consultatif dans la régulation numérique (PEReN). Cet institut a une nature juridique non identifiée. Placé sous l’autorité du secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) et de la direction générale des Entreprises (DGE), il trouve son origine dans la déclaration de Séoul pour une intelligence artificielle sûre, innovante et inclusive, du 24 mai 2024. Ce projet réunit plusieurs États, comme le Royaume-Uni, le Japon, le Canada, l’Australie, la France, l’Allemagne et l’Italie. Si l’initiative est dépourvue d’effet juridique, les États qui y adhèrent entendent poursuivre divers objectifs parmi lesquels figurent notamment « les efforts collectifs visant à créer ou à développer des institutions publiques ou financées par le gouvernement, y compris des instituts de sécurité de l’IA ». On comprend donc que cette initiative française s’insère plus généralement dans un projet de coopération internationale. Si l’existence de l’INESIA semble relativement informelle, c’est que l’origine même du projet l’est également. 

En effet, il n’y a pas de loi ou de décret qui en précisent les missions et les compétences. Pour en savoir davantage, il faut s’en remettre au site du ministère de l’Économie qui indique que les missions de l’INESIA consisteront dans « l’analyse des risques systémiques dans le champ de la sécurité nationale, le soutien à la mise en œuvre de la régulation de l’IA, et l’évaluation de la performance et de la fiabilité des modèles d’IA ». Le site de l’INRIA indique encore que l’institut a pour objectif de fournir un « appui au régulateur ». On comprend donc que l’institut doit faire profiter l’administration et les régulateurs de son expertise. Les enjeux qui entourent le déploiement de systèmes d’intelligence artificielle comme la technicité du sujet rendent évidemment nécessaire ce type d’initiative sous réserve qu’elle se limite à ce seul appui. On comprend donc que l’INESIA a vocation à jouer un rôle uniquement consultatif sans se substituer ou s’ajouter aux différentes autorités compétentes en matière d’IA. 

La création de l’INESIA permet-elle d’espérer un meilleur encadrement de l’intelligence artificielle ?

L’idée d’accompagner l’ensemble des parties prenantes à la régulation de l’IA semble spontanément positive. Pourtant, à la lecture des missions confiées à l’INESIA, on pressent d’éventuelles difficultés à venir. Le règlement sur l’intelligence artificielle impose aux États la désignation d’autorités destinées à en assurer la mise en œuvre, cette tâche pouvant être confiée à plusieurs opérateurs différents. La multiplication des acteurs peut conduire à un manque de lisibilité de la réglementation applicable et, en ce sens, l’INESIA pourrait participer à accroître la confusion, tant règne l’incertitude autour de son statut et ses missions. Cet institut pourrait être amené à manifester son expertise à travers des recommandations sur lesquelles les autorités de régulation pourraient prendre appui. Le cas échéant, la production de cet institut informel pourrait venir s’ajouter à l’amoncellement de règles non contraignantes dont le droit du numérique est déjà bien trop familier. Au-delà de la légitimité d’un tel procédé, le droit de l’intelligence artificielle, parfois abscons, s’en retrouverait davantage complexifié à raison d’une dispersion des sources. 

L’initiative est cependant intéressante et poursuit un objectif louable. On peut notamment espérer une utile coopération avec les instituts équivalents à l’étranger. Néanmoins, la méthode retenue et le contexte normatif général invitent à la prudence. La démarche pourrait relever d’un simple effet d’annonce pour accompagner la semaine de l’IA en France. L’INESIA pourrait par ailleurs empiéter sur le rôle dévolu aux autorités de régulation, nuisant alors à la lisibilité et à l’efficacité du droit de l’intelligence artificielle.