Accusation de viol au Tribunal de Bobigny : que risquent les policiers ?
Deux fonctionnaires de police ont été mis en examen le 1ᵉʳ novembre 2025 pour viol commis par personnes abusant de l’autorité conférée par leurs fonctions. Les faits se seraient produits dans la nuit du 28 au 29 octobre 2025 au dépôt du Tribunal de Bobigny, où la plaignante était détenue. Les deux mis en examen reconnaissent des relations sexuelles mais affirment qu’elles étaient consenties. L’affaire soulève plusieurs questions, de la qualification de viol aux sanctions encourues.
Publié le
Par Ludivine Richefeu, Maître de conférences en droit privé et sciences criminelles à CY Cergy Paris Université, Codirectrice du Laboratoire d’études juridiques et politiques (LEJEP)
Pour quelles raisons les policiers ont-ils été mis en examen pour viol ?
La question est centrale, les mis en examen ayant indiqué avoir eu des relations sexuelles consenties avec la plaignante. Leur avocat a de son côté indiqué que la plaignante « va très opportunément déclarer que l’acte, qui est reconnu par ailleurs par [s]on client comme étant un acte parfaitement consenti, aurait été commis sous la contrainte, sous prétexte que celui-ci est en uniforme ». Or, selon lui, « le seul port d’un uniforme ne nous permet pas d’affirmer que celui-ci exerçait une quelconque contrainte sur une personne qu’il dit être seule à l’initiative de ce qu’il s’est passé ». Tout n’est cependant pas si simple. La plaignante étant majeure, la loi impose de démontrer que les mis en examen ont agi malgré l’absence de consentement de celle-ci. Autrement dit, il convient de prouver que l’acte sexuel a été entrepris avec contrainte, violence, menace ou surprise. Or, les circonstances dans lesquelles l’acte a été commis sont d’une importance particulière. La plaignante était en effet retenue sous contrainte au dépôt du Tribunal de Bobigny ; les mis en examen devaient assurer sa garde. L’on peut donc se poser la question de la contrainte physique et morale exercée par les mis en examen sur la plaignante en raison de ces circonstances particulières. De la contrainte physique, d’abord, puisque la plaignante était retenue dans une cellule et ainsi privée de sa liberté d’aller et venir. Cette situation de rétention lui a retiré toute possibilité de partir, de fuir. Mais au-delà du caractère physique de la contrainte, c’est également le caractère moral de celle-ci qui doit être étudié. Si la loi définit la contrainte morale uniquement pour les victimes mineures, l’on peut considérer pour les victimes majeures et au regard de la jurisprudence, que celle-ci est caractérisée lorsque les victimes ne s’opposent pas physiquement à l’acte mais s’y sentent mentalement obligées. La contrainte morale suppose alors l’exploitation de la faiblesse, de la vulnérabilité de la victime ; exploitation qui va la forcer à l’acte sexuel. Dans les faits de Bobigny, il convient donc de s’interroger sur la situation psychologique de la plaignante, retenue au dépôt du tribunal et placée sous la surveillance, donc l’autorité, des mis en examen, pour déterminer si ce contexte bien particulier a pu la plonger dans un état de vulnérabilité de nature à l’empêcher de refuser l’acte sexuel. À la lumière de ces éléments, il est fort à penser que la qualification de viol pourrait être retenue.
L’introduction du consentement dans la définition des agressions sexuelles facilite-t-elle en l’espèce la qualification de viol ?
La loi n° 2025-1057 du 6 novembre 2025 a intégré la notion de consentement dans la définition du viol et des agressions sexuelles. La question se pose de sa rétroactivité, c’est-à-dire de son application à des faits antérieurs à son entrée en vigueur. À ce titre, l’on pourrait considérer qu’il s’agit d’une loi de fond plus sévère, qui vient aggraver la situation de l’auteur. En tous les cas, tel est bien l’esprit de la loi, le législateur ayant introduit la notion de consentement dans l’espoir de faciliter les poursuites et les condamnations pénales pour les faits de viol et d’agressions sexuelles. Si cette interprétation était retenue, la loi du 6 novembre 2025 ne devrait s’appliquer qu’aux faits commis postérieurement à son entrée en vigueur. Dans cette hypothèse, l’affaire de Bobigny n’entrerait donc pas dans le champ d’application de la loi nouvelle.
Cette exclusion serait pour autant sans conséquence, l’introduction de la notion de consentement dans la définition des agressions sexuelles revêtant principalement, à notre sens, une dimension symbolique. La loi du 6 novembre 2025 conserve d’ailleurs les adminicules de violence, contrainte, menace ou surprise, qui resteront sans aucun doute au cœur de la qualification des agressions sexuelles. C’est donc bien sur la notion de contrainte, physique et morale, que se joue dans les faits de Bobigny la qualification de viol.
Quelles sanctions encourent les policiers ?
Si la qualification de viol devait être retenue, les policiers encourraient vingt ans de réclusion criminelle, la peine étant aggravée lorsque le viol est commis par une personne qui abuse de l’autorité que lui confèrent ses fonctions. Il est intéressant de souligner qu’indépendamment des sanctions pénales, les policiers encourent des sanctions disciplinaires. En effet, le fait, pour un policier, d’avoir des relations sexuelles – consenties ou non – dans l’exercice de ses fonctions avec une personne dont il a la garde et dont il doit assurer la surveillance et la protection, constitue un manquement déontologique. Le ministre de l’Intérieur a indiqué que « l’honneur de la police a été sali », invoquant ainsi l’obligation de chaque policier de veiller à ne pas porter atteinte au crédit ou à la réputation de la police nationale (art. R. 434-12 du Code de la sécurité intérieure). Au-delà, les policiers ont surtout violé l’obligation de respecter et de protéger les personnes privées de liberté, imposée par l’article 434-17 du Code de la sécurité intérieure. Celui-ci dispose que « Le policier ou le gendarme ayant la garde d’une personne appréhendée est attentif à son état physique et psychologique et prend toutes les mesures possibles pour préserver la vie, la santé et la dignité de cette personne ». Nul doute que cette obligation n’a pas été respectée par les deux policiers, que l’acte sexuel ait été ou non consenti par la plaignante. Ils encourent donc une sanction disciplinaire pouvant consister, au regard de la gravité des actes commis, qu’ils ont par ailleurs filmé, en leur révocation de la police nationale.