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Quadrature du Net, par Denys Simon

Des données juridiques complexes sur la conservation des données numériques

L’arrêt d’Assemblée French Data Network du Conseil d’État du 21 avril 2021 a été salué comme l’une des décisions les plus importantes de la haute juridiction administrative au cours des dernières années. Alors qu’a été discuté en Conseil des ministres le 28 avril le projet de loi relatif à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement, le gouvernement a dû se prononcer sur une « lettre rectificative » le 12 mai en vue de tenir compte de cet arrêt « French Data ».

Pour en comprendre les enjeux, il faut rappeler que le Conseil d’État avait saisi en 2018 la Cour de justice de l’Union européenne d’un renvoi préjudiciel sur les exigences imposées par le droit de l’Union en matière de conservation indifférenciée des données de connexion, qui avait conduit le juge de l’Union statuant en Grande chambre à rendre le 6 octobre 2020 un « grand arrêt » dit « La Quadrature du Net », lequel précisait les garanties indispensables à la protection des droits et libertés dans le contexte de la conservation des données personnelles.

L’arrêt du Conseil d’État est d’abord remarquable en tant qu’il rejette vigoureusement les demandes insistantes du Premier Ministre au cours de la procédure visant à dénier toute compétence à l’Union dans des domaines touchant à la sécurité nationale et à l’ordre public. En d’autres termes, le Conseil d’État s’oppose au contrôle « ultra vires » pratiqué notamment par la Cour constitutionnelle allemande dans son arrêt Weiss du 20 mai 2020, et affirme qu’une juridiction d’un État membre ne peut ni juger du respect par les institutions de l’Union de la répartition des compétences, ni faire obstacle à l’autorité des arrêts de la Cour de justice. Toutefois, dans les longs développements consacrés à la hiérarchie des normes, le Conseil d’État confirme la place de la constitution au sommet de l’ordre juridique interne, et en déduit que dans des hypothèses où n’existerait pas en droit de l’Union de règle garantissant l’effectivité d’une exigence constitutionnelle, il lui incombe de maintenir une règle nationale, fût-elle incompatible avec le droit de l’Union. En l’occurrence, l’Assemblée du contentieux estime que les objectifs constitutionnellement garantis de prévention des atteintes à l’ordre public, de poursuite des infractions pénales et de lutte anti-terroriste, ne font pas l’objet d’une protection équivalente en droit de l’Union.

En conséquence, le Conseil d’État a jugé que n’étaient pas contraires au droit de l’Union les règles relatives à une conservation généralisée des données relatives à l’identité civile, aux paiements, aux contrats et aux comptes de l’abonné, ou encore des adresses IP, justifiée par la lutte contre la criminalité grave et la prévention des menaces graves pour la sécurité publique. S’agissant ensuite de la conservation des autres données de trafic et de localisation, sans en remettre en cause le principe, le Conseil d’État condamne l’absence de réexamen à échéance régulière de l’existence d’une menace grave, actuelle ou prévisible pour la sécurité nationale. Par ailleurs est en principe illégale l’obligation de conservation généralisée et indifférenciée pour des besoins autres que la sécurité nationale. Toutefois, le dispositif de conservation ciblée par catégorie de personnes ou par zone géographique préconisé sur la base du principe de proportionnalité par la Cour de justice est jugé non opérationnel. Le Conseil d’État admet en revanche l’exploitation des données conservées pour des raisons de sécurité nationale à des fins de poursuite des infractions pénales. Quant aux données conservées par les services de renseignement, le contrôle organisé par les textes existants est jugé insuffisant, ce qui conduit à une annulation, assortie d’une injonction adressée au gouvernement d’imposer un contrôle préalable et contraignant confié à une juridiction ou à une autorité administrative indépendante.

Au-delà de ces aspects techniques, l’arrêt révèle une mise en œuvre quelque peu sélective des exigences posées par le droit de l’Union tel qu’interprété par la Cour de justice, ce qui est de nature à générer des contentieux ultérieurs. On soulignera à cet égard que la Cour constitutionnelle belge, dont le renvoi préjudiciel avait été joint à celui du Conseil d’État dans l’affaire « La Quadrature du Net », a pour sa part annulé globalement le dispositif national dans le souci d’appliquer scrupuleusement l’arrêt de la Cour de justice, le lendemain de l’arrêt du Conseil d’État.

Par Denys Simon, Professeur émérite à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne, Membre du Club des juristes

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Professeur émérite à l'Université Paris I Panthéon-Sorbonne
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