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Vers un « name and shame » fiscal ?

Le Ministre de l’action et des comptes publics a annoncé le 1er février dernier son intention de renforcer l’« arsenal anti-fraude » dont dispose l’administration fiscale en lui permettant de livrer à la presse l’identité des entreprises sanctionnées pour fraude fiscale. En revendiquant l’usage de la technique du « name and shame » (nommer et faire honte), le gouvernement entend tirer les conséquences d’un constat d’évidence : aux yeux de nombreuses entreprises, la perspective de voir sa réputation salie représente un péril bien plus inquiétant que la menace d’une sanction pécuniaire.

Plusieurs sérieux obstacles compromettent toutefois le projet gouvernemental. D’abord, dans la mesure où cette dénonciation publique aurait nécessairement la nature d’une sanction, il reviendrait à la loi de préciser les cas dans lesquels elle pourrait être mise en œuvre, sauf à violer le principe de légalité des délits et des peines. Mais difficile de croire qu’une telle précaution juridique lèverait l’inévitable soupçon de partialité pesant sur le choix de l’administration de dénoncer à la presse une entreprise plutôt qu’une autre.

Ensuite et surtout, l’édiction d’une telle sanction serait nécessairement soumise au contrôle du juge fiscal. Or, sauf à ruiner l’effectivité de ce contrôle juridictionnel – et, partant, à violer la Convention européenne des droits de l’homme comme la Constitution qui, toutes deux, garantissent le droit à un recours effectif – il semble qu’un mécanisme de sursis devrait accompagner la saisine du juge. Il est clair en effet qu’une fois la publication réalisée, le dommage pour l’entreprise devient à peu près irréparable. L’intervention ultérieure du juge perd donc toute pertinence. Il apparaît ainsi indispensable que la publication n’intervienne qu’après l’éventuel échec des voies de recours offertes au contribuable… ce qui pourra la retarder de plusieurs longues années et, finalement, ruiner son efficacité.

Mieux vaudrait dès lors que le gouvernement concentre son attention sur les dispositifs existants, plutôt que d’instaurer de nouvelles procédures aux effets aléatoires. À cet égard, la seconde proposition du Ministre, consistant à généraliser, « sauf décision expresse du juge », la publication dans la presse des condamnations  pour fraude fiscale prononcée par les tribunaux correctionnels, ne serait pas insensée. Même si, en 2010, le Conseil constitutionnel avait jugé contraire au principe d’individualisation des peines le caractère systématique d’une telle publication, la réforme envisagée par le gouvernement ne devrait pas encourir le même reproche car elle préserverait au juge une marge de liberté. Une question majeure resterait toutefois posée : celle des modalités d’utilisation du « verrou de Bercy », qui réserve au ministère des finances l’engagement des poursuites pénales en matière fiscale. Au nom de quels critères ce dernier choisira-t-il le millier de dossiers qu’il décide de transmettre chaque année aux juridictions répressives ? Faire la lumière sur les turpitudes fiscales des entreprises indélicates est sans doute une bonne chose. Appliquer à l’administration une même exigence de transparence sur sa politique de dénonciation des fraudeurs ne le serait pas moins.

 

Martin Collet

Professeur à l’Université Paris II Panthéon-Assas
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