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Le temps de la consolation de Michel Foessel

Pourquoi commémore- t-on ?

L’année 2015, traversée de drames et de blessures, fut particulièrement douloureuse pour le pays tout entier. Nous sommes entrés dans le temps de la consolation. Nous en avons besoin et ce besoin est source de pratiques nombreuses tels les chants, les rituels et les commémorations.

L’auteur, philosophe, vient nous éclairer sur l’acte de consoler qui obéit aux règles d’une pratique fondée sur un usage déterminé du langage et sur ce besoin de consolation qui est un jugement émis par celui qui souffre sur ce qu’il est légitime de vivre et sur ce qu’il est injuste de devoir endurer.

La consolation a été longtemps considérée comme une prérogative de la philosophie, elle est née de la mort de Socrate et du fait que Platon a eu le souci de nous en consoler. Elle semble désormais réservée à la psychologie ou à la religion. Pour les tristesses ordinaires, on s’adresse à un thérapeute et pour les deuils d’exception on convoque Dieu. Il n’y a pas un incident qui n’appelle à la constitution immédiate d’une « cellule psychologique », comme s’il fallait absolument empêcher les sujets de s’installer dans le temps de la perte pour en mesurer les conséquences et imaginer des répliques alternatives au déni. Et que dire de l’extraordinaire succès rencontré, bien au-delà des cercles freudiens par l’expression « travail de deuil ».

L’auteur plaide en faveur d’une politique de la consolation qui nous permette d’affronter collectivement la souffrance et ces conséquences. Il part du principe que la consolation est une manière d’être ensemble malgré la perte ressentie par l’autre. Cette perte qu’elle veut réconforter peut ne pas être celle d’un proche ou d’un amour mais celle d’un inconnu, d’un travail ou même d’un idéal. Elle implique de s’investir sur une souffrance sur laquelle on cherche à agir. Comment, sans la trahir, se frayer un chemin jusqu’à l’intimité de l’autre ?

C’est cette étrange alchimie qu’il faut décrypter. La consolation est un concept philosophique apte à déchiffrer les illusions et les espoirs de notre temps mais sans prétendre consoler de quoi que ce soit. « La philosophie est un effort de lucidité qui vise moins à guérir qu’à éclairer ce que nous avons perdu ». Le consolateur, à la différence du magicien ou du médecin ne ramène pas l’objet de la perte. Le mauvais consolateur est celui qui nie que quelque chose se soit passé, qui dit : « ce n’est rien, tu n’as rien perdu ». Le bon consolateur est celui qui propose quelque chose à la place de « l’objet perdu », une parole, un geste, un acte, un supplément.

Encore faut- il ne pas confondre l’inconsolé qui accepte de ne pas rester complètement figé dans son deuil, qui choisit la vie sans nier la perte et l’inconsolable qui oppose un non catégorique à toutes les formes de « substituts » qu’on lui propose. L’inconsolé, bien sûr, a subi une perte qu’il ne retrouvera pas mais cette perte le « constitue comme sujet ». Un sujet certes altéré par le malheur, qui cherche à devenir autre. Plutôt que de suivre, comme Antigone, le mort dans sa tombe, l’inconsolé choisit la vie sans nier la mort. Il a conscience qu’il ne retrouvera plus l’ordre ancien et qu’il ne doit pas chercher à le retrouver. « C‘est parce que nous acceptons d’être constitués par nos pertes passées que nous pouvons nous ouvrir à l’avenir ». La consolation c’est l’anti résilience, c’est redonner du sens au chagrin.

Il n’y a pas de formule pour qu’une consolation réussisse. On console quelqu’un pour le convaincre qu’il peut vivre au-delà du point où cela lui semble impossible. Mais le chagrin excède ce que l’on peut en dire pour celui qui cherche à y répondre comme pour celui qui le vit. C’est pourquoi, faute de mots, la consolation passe souvent par le toucher. Ce sont les mains qui se frôlent dans la sollicitude pour le mourant. Mais que veulent dire les mains qu’aucune parole ne peut exprimer ? Le toucher est rarement suffisant. Il entame une consolation dont on considère qu’elle devrait se poursuivre dans des phrases qui rétabliront un lien rationnel. La philosophie est plus à l’aise avec les consolations qui font discours.

Consolation et politique sont liées, bien sûr, puisque cette dernière a aussi affaire à la « perte » de valeurs, d’idéaux, d’espérances. Le chemin proposé n’est pas en phase avec la société contemporaine qui envisage la tristesse à la manière d’un objet de management. On nous parle en permanence de fragilité, de vulnérabilité mais il faut, dans le même temps être actifs, productifs et bien dans sa peau ; l’injonction au « travail de deuil » et aux commémorations est révélatrice. Il faut conjurer la perte par une activité de tous les instants. Si la consolation ne fait pas programme elle est un préalable à toute réflexion politique.

L’auteur n’envisage pas une « politique de consolation » qui remplacerait la justice par des pleurs apitoyés sur le sort des plus miséreux. Reconnaître la perte, c’est pouvoir inventer autre chose. La consolation permet d’ouvrir des chemins entre tous les satisfaits qui célèbrent le présent parce qu’il leur est favorable et contre tous les nostalgiques qui regrettent la grandeur d’un passé fantasmé. Ne rien faire c’est demeurer inconsolable, rester inconsolé c’est regarder devant plutôt que vers le passé. Il faut « élaborer la tristesse, de telle sorte qu’elle fonde des revendications inédites ».

Ce livre réconcilie avec la philosophie. Il montre que le chagrin et sa consolation font tenir les hommes ensemble. Consoler, c’est toujours être avec.

Michel Foessel – Le temps de la consolation – Editions du Seuil – Octobre 2015

Michaël Foessel, né en 1974, est philosophe, maître de conférences à l’université de Bourgogne et professeur à l’Ecole polytechnique. Il est notamment l’auteur de La privation de l’intime (Seuil 2008) et d’Après la fin du monde. Critique de la raison apocalyptique (Seuil 2012)

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