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Retraites, par Emmanuelle Barbara, avocate associée August Debouzy, membre du Club des juristes

Retraites – Les impacts de la réforme pour l’entreprise : changer de logiciel

Les Français ne s’y sont pas trompés : seul compte le relèvement de l’âge du départ à la retraite, qui concentre à lui seul le rejet massif de la réforme. On ne veut rien entendre : ni le fait que l’âge moyen de départ actuel s’établisse à plus de 63 ans, ni le soulagement d’avoir échappé aux 65 ans, ni même la discussion sur la pénibilité. Pas question de se projeter plus longtemps sous le harnais du travail. Quelles que soient les motivations rationnelles de la réforme, elles sont inaudibles face aux arguments habituels : il n’y a qu’à faire autrement, taxons ailleurs ou davantage, renforçons la redistribution, résistons à la régression sociale !

Dès lors qu’une réforme paramétrique a pour seul objet les conditions d’accès à ce temps béni de la retraite, ses contempteurs, en déplaçant le débat, rendent impossible la résolution de la quadrature du cercle. Le débat autour de l’âge légal de la retraite prend alors des allures de réquisitoire contre le travail – ce mauvais moment à passer, toujours trop long. Paradoxalement, c’est de l’attachement affectif à son travail et à sa représentation, où l’habit fait le moine, qu’il s’agit. Au-delà de la nébuleuse « valeur travail » et de l’antienne de « la dégradation des conditions de travail », l’immense majorité des travailleurs est sincère quand elle exprime une forme d’amertume tirée de sa propre expérience, quel que soit son âge. La posture n’est pas réservée aux seuls actifs abordant la cinquantaine avec inquiétude. Les réactions spontanées sont en fait conditionnées par une représentation du salariat figée à l’époque révolue de la civilisation de l’usine. On se projette avec angoisse dans la peau du salarié empilant avec peine les 43 années requises au sein de la même entreprise en subissant les affres d’une subordination périmée et rebutante, alourdie de toutes sortes d’irritants qui ne sont pas toujours seulement liés au travail. Quel programme !

Pourtant, la transformation du travail est à l’œuvre, à l’unisson de celle de la société, et tout le monde le sait. Il deviendra banal d’être tout à la fois salarié dans une entreprise et freelance ailleurs, ou encore entrepreneur ou agent contractuel de la fonction publique. Tous ces changements impactent déjà la façon de se voir et d’être au travail. On ne sait pas encore comment, à l’avenir, nos activités personnelles, professionnelles et de formation s’agenceront entre elles tout au long de la vie. Les ruptures technologiques, la redéfinition des frontières de l’entreprise, y compris dans le monde virtuel, brouillent le présent. Il n’empêche : dès qu’il s’agit de retraites, on se voit tel Charlot dans les Temps modernes.

L’époque actuelle est celle de l’entre-deux mondes. En attendant la normalisation de cette société qui émerge de façon désordonnée, les entreprises jouent un rôle capital. Il leur faut impérativement changer de logiciel. Le soulagement des chefs d’entreprise à ne pas subir d’augmentation de cotisations de retraite est légitime, mais il ne saurait masquer l’étendue du chantier ouvert par l’allongement de la carrière professionnelle due par tout un chacun, quel que soit son statut professionnel. Le travailleur attend une reconnaissance de la valeur qu’il apporte, un accompagnement dans son parcours professionnel même au-delà de son entreprise, et bien sûr le renforcement des systèmes de retraite supplémentaires réformés en 2019. Il faudra amplifier la portabilité de tous les droits individuels.

L’urgence consiste à offrir le maintien en emploi ou le recrutement des salariés dits âgés. Au-delà de la publication d’un index formel, il faudra les intégrer dans le business model. Pendant des années, le collectif social a été dopé aux plans de préretraites maison, ouverts aux salariés à peine entrés dans la force de l’âge, déjà trop-vieux-trop-chers. L’adoption dès 2009 de l’âge vénérable de 70 ans pour une mise à la retraite d’office participe à la décélération du phénomène. Proposer des plans seniors inventifs, aux antipodes de ceux d’avant 2017, est indispensable. Si l’entreprise se doit de ne pas larguer les seniors face à leurs trimestres à rallonge, il faut aussi vis-à-vis des jeunes leur mettre le pied à l’étrier. Tout indique qu’il faut cultiver l’employabilité de ceux qui ne sont ni l’un ni l’autre. Le temps de la révolution de notre représentation d’une carrière professionnelle est venu. C’est bien là le véritable programme.

Retraites, par Emmanuelle Barbara, avocate associée August Debouzy, membre du Club des juristes

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