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Les putains du diable d’Armelle Le Bras-Chopard

Armelle LE BRAS CHOPARD, professeure émérite de sciences politiques à l’Université de Versailles Saint -Quentin -en -Yvelines, a obtenu le prix du Club des juristes 2017 pour un ouvrage qui attire la curiosité : « Les putains du diable. Procès des sorcières et construction de l’Etat moderne ». Quelle drôle d’idée !

Il faut reconnaître que depuis le début des années 1970, les travaux des historiens sur la sorcellerie démoniaque se sont multipliés.   B.P Levack (La grande chasse aux sorcières en Europe aux débuts des temps modernes 1991) note qu’il n’existe pas de « problèmes historiographiques qui aient suscité autant de désaccord et de confusion ». Les auteurs, dans leur ensemble, mentionnent bien la misogynie et la crainte de la dangerosité des femmes, mais ils ne disent pas pourquoi la misogynie a pris cette acuité et cette forme dans ce que l’on continue d’appeler « la chasse aux sorcières ».

Le propos de l’auteure, n’est pas de faire une nouvelle histoire de la sorcellerie mais de pénétrer à l’intérieur de cette idéologie et de sa pratique judiciaire, pour mettre en lumière la façon dont la répression a constitué une étape dans la lente gestation de l’Etat moderne. Elle y travaille à partir de ce que les démonologues ont relaté des procès qu’ils ont mené ou qu’ils ont été amenés à connaître. Pour pénétrer à l’intérieur de la démonologie et en comprendre l’invraisemblable mais imperturbable logique, elle s’appuie sur un corpus de sept ouvrages qu’elle présente en fin de son ouvrage. Baiser au cul du Diable, cuisson et dégustation de bébés, sortilèges, sabbats… du XVe à la fin du XVIIe siècle, les aveux des sorcières extorqués sous la torture et rapportés par les inquisiteurs et les magistrats alimentent la doctrine sur les démons.

C’est le procès qui fabrique les sorcières et comme le note le confesseur des sorcières F.Spee au début du XVIIIe siècle « Celle qui aura été condamnée pour sorcière le doit être ». On ne peut être plus clair ! La chasse aux sorcières n’est pas un épisode regrettable ni même une parenthèse dans notre histoire, mais a joué un rôle dans la construction de l’Etat. C’est toute l’originalité de cet ouvrage dont le caractère passionnant n’a pas échappé au jury du Club des juristes !

Nous pénétrons dans l’univers du Diable et des sorcières. Ce sont, essentiellement, les femmes qui sont les principales actrices et sur ce point, les démonologues cités par l’auteure sont intarissables. Fait unique dans l’histoire où une doctrine, aux conséquences redoutables, est élaborée à partir de déclarations orales de femmes, alors même que, déjà « suspectes de mensonges par leur appartenance à ce sexe sournois », elles se trouvent, de plus, en tant que sorcières, complice de Satan, le Mensonge en personne.  C’est avec des trésors d’imagination et de précisions que les démonologues vont donner une consistance suffisamment concrète au Diable pour qu’elle frappe l’imagination, le dépeignant des pieds à la tête en passant par son sexe monstrueux. La sorcellerie n’est pas un destin mais un choix, volontaire, libre, attesté formellement par un pacte et physiquement par l’accouplement avec le Diable qui n’a rien d’un viol. On ne nait pas sorcière on le devient. « Les sorcières se donnent à   lui, bien qu’elles sachent que c’est le Diable » (P de Lancre) et en échange, la sorcière reçoit d’immenses pouvoirs de nuisance qui s’exercent contre les biens, les animaux domestiques et les individus. Mais c’est d’abord contre le sexe opposé qu’elle use principalement des pouvoirs immenses du Diable ; c’est pour cela qu’elle est dangereuse. Elle a l’obligation de se rendre, régulièrement, au « Sabbat » et d’y énumérer les « nouvelles calamités » qu’elle a provoqué.

Les principaux épisodes de ces réunions avec le Diable (le sabbat), sont décrites avec les précisions d’un procureur ! Car c’est à partir de ces faits que vont se fonder les procès en sorcellerie. Tous ces agissements des sorcières, rapportés par les juges, seraient objets de pure curiosité s’ils n’avaient servi de base à une répression bien réelle celle- là. « Le crime des sorcières est partiellement civil et partiellement ecclésiastique, en raison des fléaux temporels et de la foi qu’elles violent » Si les juges ecclésiastiques sont concernés, les juges civils le sont aussi. Pour ces derniers, tout doit concourir à la condamnation finale dès l’arrestation et seule la mise sur le bûcher a valeur d’exemple, c’est une « pédagogie de l’effroi », phénomène judiciaire dont il restera des éléments y compris dans nos démocraties. Ces procès s’inscrivent surtout dans un processus politique où la sorcellerie, principalement dans sa version féminine, apparaît aux élites masculines, Eglise et pouvoirs laïcs, comme une menace contre l’ordre public et l’Etat. Les procès en sorcellerie allaient servir d’instrument à l’Etat pour assurer sa suprématie sur des pouvoirs concurrents, bien réels ceux- là : l’Eglise et les pouvoirs subalternes.  Et les sorcières vont disparaître quand on n’aura plus besoin d’elles, c’est-à-dire quand la femme, dûment mise sous « tutelle », a cessé d’être dangereuse, tandis que l’Etat a profité de ces procès pour écarter l’Eglise et mettre au pas les pouvoirs subalternes. Sur la tête des sorcières, de l’Eglise, et de ses propres magistrats, l’Etat peut alors triompher et récupérer sans complexe la puissance jadis attribuée au démon.

Aujourd’hui la sorcière nourrit un imaginaire en restant dans les contes pour enfants une méchante femme et le sabbat alimente les fantasmes masculins des libertins et des romanciers. Mais les procès en sorcellerie ont constitué une étape dans la construction au masculin de l’Etat moderne, par la mise hors- jeu des femmes, qui s’effectuera ensuite par la loi. Ils ont laissé des séquelles dans les stéréotypes sur les femmes et la résistance des hommes à les laisser entrer dans la citadelle politique.

 

Les putains du diable : procès des sorcières et construction de l’Etat moderne – Armelle Le Bras-Chopard – Editions Dalloz – Octobre 2016

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