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Préjuger n’est pas juger

Un jugement du Conseil de Prud’hommes de Paris, rendu le 16 décembre 2015, pourra se vanter d’avoir déchaîné les passions bien au-delà du cercle des parties au procès. Et pour cause, puisque à croire les articles qui lui ont été consacrés, « selon les prud’hommes, traiter un coiffeur de « PD » n’est pas homophobe ». La ministre du travail faisait quant à elle savoir, en réagissant manifestement sur ce seul effet d’annonce tout en prenant la précaution de préciser ne pas connaître ce jugement, qu’elle le jugeait « scandaleux » et « choquant ».

Il n’en fallait donc pas plus pour provoquer toutes les curiosités et se diriger vers ladite décision, afin que celle-ci puisse nous livrer les faits et, surtout, la pleine motivation retenue par les premiers juges, à l’origine de cette levée de boucliers.

La problématique juridique soulevée devant le Conseil de Prud’hommes n’a rien de révolutionnaire. Il s’agit du contentieux récurrent afférent à la rupture de la période d’essai par l’employeur, jugée abusive par le salarié. Il en va par contre autrement des éléments de preuve apportés par le salarié au soutien de sa demande.

En effet, ce dernier, employé depuis près d’un mois auprès d’un salon de coiffure, a été rendu destinataire, par erreur, d’un SMS de son manager, dont les termes et le sens étaient dépourvus de toute ambiguïté: « Je ne garde pas [le salarié], je le préviens demain, on fera avec des itinérants en attendant, je ne le sens pas ce mec: c’est un PD, ils font tous des coups de putes ».

Le lendemain, le salarié se voyait signifier la rupture de sa période d’essai.

Il saisissait alors le Conseil de Prud’hommes afin qu’il soit principalement dit et jugé que la rupture de sa période d’essai était abusive, et plus exactement nulle puisque intervenue au visa d’un motif discriminatoire, à savoir à raison de l' »orientation ou identité sexuelle » (article L. 1132-1 du Code du travail). Il demandait par voie de conséquence, l’indemnisation de cette nullité et du préjudice moral y afférent.

Le Conseil de Prud’hommes a rendu, le 16 décembre 2015, la décision qui fait débat. Son examen attentif commande d’emblée de relever que le Conseil de Prud’hommes n’a pas purement et simplement légitimé, pour ensuite les évacuer, les propos litigieux.

Il les a tout au contraire retenus à charge contre l’employeur. Le Conseil de Prud’hommes a ainsi condamné la Société à une somme de 5000 euros à titre de dommages-intérêts en sanction de propos qualifiés « d’injurieux », ayant occasionné un préjudice moral au salarié. Ce montant n’est pas neutre. Nous sommes ici éloignés de l’euro symbolique. Il correspond plus exactement, si on se réfère aux demandes formulées par le salarié, à près de 3 mois et demi de salaire. Ce quantum semble témoigner de l’intensité que les premiers juges ont tenu à accorder à la condamnation, étant rappelé que le salarié totalisait à peu près un mois d’ancienneté au jour de la rupture.

Ces propos constituent objectivement une injure et le Conseil de Prud’hommes sur ce point ne s’y est pas trompé.

Pour autant, ces propos ont été tenus au soutien d’une décision de rupture d’une période d’essai. Ils en constituent même, à lire le SMS qui, comme une lettre de licenciement, fixe les limites du débat, la motivation subjective première faisant obstacle au maintien de la collaboration.

Si l’on comprend à la lecture du jugement que le premier mois de collaboration écoulé ne s’était professionnellement pas avéré concluant, il n’en demeure pas moins que les propos tenus au titre du SMS, et en justification/conclusion de la décision de rupture, sont homophobes et donc discriminatoires.

C’est ici que techniquement, le Conseil de Prud’hommes semble s’être arrêté au milieu du gué, en faisant sien le préjugé opposé en défense et présenté sous la forme du syllogisme suivant: il est notoire que le milieu de la coiffure est un milieu où évolue bon nombre d’homosexuels. J’appartiens au milieu de la coiffure. Par voie de conséquence je ne peux pas être taxé d’homophobie.

Pour les premiers juges, les propos tenus étaient donc condamnables. Ils constituent une « injure » dont l’employeur se doit de répondre. Ils sont par contre détachables de toute homophobie et ne rentrent dès lors pas dans le champ de l’article L.1132-1 du Code du travail.

En jugeant comme il l’a fait, le Conseil de Prud’hommes a érigé un préjugé en règle de droit. Ainsi promu, il se trouve même élevé au-dessus de la loi.

Il n’est pas certain qu’en cas d’appel, la Cour, sans avoir pour ce faire à couper les cheveux en quatre, trouve à valider cette nouvelle donne: préjuger n’est pas juger.

Eric Manca, Avocat-associé chez August et Debouzy

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