fbpx
skip to Main Content

Perte de chance. Le droit de consommation investit le champ des placements financiers.

L’affaire Doubl’Ô Monde illustre l’extension aux placements financiers des protections dérivées du droit de la consommation sur les pratiques commerciales trompeuses. Dans un jugement du 13 décembre 2012 ( JurisData n° 2012-036132) suivi d’un arrêt de la cour d’appel de Lyon du 18 septembre 2013 ( CA Lyon, 7 e ch., n° 13/00651 : JurisData n° 2013-033648 ) la Caisse d’épargne et de prévoyance Loire Drome Ardèche (CELDA) s’est vue sanctionnée pour avoir diffusé une brochure publicitaire portant sur un fond à formule FCP Doubl’Ô Monde. Cette brochure précise qu’il s’agit d’un produit à haute performance destiné à « doubler son capital en toute sérénité». Aucune notice d’information ne mentionnait de façon explicite le caractère aléatoire de cette perspective, ont souligné les juges.

Selon le jugement du 13 décembre 2012, le caractère trompeur du document publicitaire résulte du fait que ledit fonds était présenté comme permettant de doubler le capital investi « en toute sérénité » même s’il comprenait une astérisque renvoyant à la phrase « sous réserve des conditions indiquées dans la notice COB disponible » imprimée sur la tranche droite du document avec un caractère d’imprimerie d’à peine un millimètre de hauteur. Le jugement relève ainsi que « le doublement n’était qu’une simple possibilité mais pas une certitude comme pouvait l’ê tre le reversement du capital investi ». Les expertises ont en effet conclu que la probabilité de doublement du capital était « en pratique d’une chance sur deux ». Le document publicitaire a donc été jugé intentionnellement trompeur, même si le doublement du capital avec garantie du capital est économiquement impossible et que l’astérisque était là pour exprimer cette contrainte.
Le tribunal a considéré que « le dommage réside dans la perte d’une chance de recevoir pendant la période de 6 années consécutives un intérêt même faible mais au moins égal à celui qu’e lles auraient perçu si elles avaient placé ou laissé le capital investi sur un placement dépourvu de risque. À cet effet, le tribunal retiendra le taux du Livret A comme référence pour effectuer ce calcul ».
La cour d’appel reprend la qualification de perte de chance de s’orienter vers un autre placement mais souligne que les parties civiles avaient la possibilité de s’orienter vers des placements plus rémunérateurs qu’un Livret A d’épargne, s’agissant de sommes immobilisées pendant 6 ans. La perte d’une chance sera donc évaluée par rapport à ces placements plus rémunérateurs par substitution aux sommes arbitrées par le tribunal. La cour a ainsi ajouté une somme forfaitaire de 700 € par demandeur à celles calculées par le tribunal par référence aux performances du Livret A. Et la CELDA fera l’objet d’une amende accrue par rapport à celle décidée par le tribunal.
Cette décision soulève trois observations. Tout d’abord, si la cour évoque des placements plus rémunérateurs, elle ne les définit pas et ajoute au calcul du tribunal une somme forfaitaire indépendamment des situations effectives de chacun des demandeurs, ce qui est discutable.
En second lieu, la probabilité de la chance perdue n’est pas évoquée, alors qu’elle est intrinsèque à la définition de la perte de chance. On comprend pourquoi car, sauf à définir une probabilité proche de 100 %, elle aurait conduit à réduire sensiblement les dommages sans compter que l’alternative des demandeurs aurait pu être de ne rien faire.
Il aurait été possible d’aller au bout du raisonnement et annuler l’investissement en appliquant le taux légal, ce qu’a fait le tribunal, mais sans pour autant justifier l’annulation par la perte de chance, ou bien aller au bout du raisonnement et appliquer le doublement du capital si le juge considérait que celui-ci avait effectivement été promis.
Enfin, Le tribunal comme la cour ne prennent pas en compte le caractère irréaliste d’une promesse de doubler le capital souligné par l’astérisque. Ils considèrent que l’épargnant, comme le consommateur, doit être protégé du risque d’une interprétation littérale qui serait trompeuse, même si celle-ci est totalement irréaliste pour un consommateur (un épargnant) moyennement informé.

Documents Relatifs

Documents Relatifs

Maurice Nussenbaum

Maurice Nussenbaum

Président de SORGEM Évaluation, Professeur émérite à l'Université Paris Dauphine
Back To Top
×Close search
Rechercher