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L’inconstitutionnalité à la Pyrrhus, par Frédéric Peltier, avocat associé – Cabinet Peltier Juvigny Marpeau & Associés, expert du Club des juristes

L’applicabilité d’une norme abrogée et inconstitutionnelle en vertu de l’ordre public

En principe, une déclaration d’inconstitutionnalité doit profiter à l’auteur de la QPC. Lorsqu’une personne mise en cause soulève l’inconstitutionnalité d’un texte de loi qui lui est opposé à l’occasion d’une instance au motif qu’il porterait atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, il ne le fait pas pour que la loi respecte la Constitution, mais pour que la Constitution le protège contre une loi non conforme.

Selon l’article 62 de la Constitution : « une disposition déclarée in- constitutionnelle sur le fondement de l’article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou à une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d’être remis en cause ». L’article 62 ne pose pas vraiment un principe d’effet utile de la QPC au deman- deur, assorti d’une exception, et force est de constater que de plus en plus, en matière pénale, l’effet utile de la QPC est l’exception.
La décision du Conseil constitutionnel du 25 février 2022 (n° 2021-976/977 QPC M. Habib Ait AZZA et autre) en est l’illus- tration. Le Conseil constitutionnel était questionné sur la conformité de l’article 34-1 du Code des postes et des communications dans sa rédaction antérieure à sa modification par la loi du 30 juillet 2021. Le Conseil considère ainsi : « qu’en autorisant la conservation générale et indifférenciée des données de connexion, les dispositions contestées portent une atteinte disproportionnée au res- pect de la vie privée ». Il déclare donc l’inconstitutionnalité d’une disposition législative abrogée, le texte la remplaçant étant censé être plus protecteur des libertés individuelles.

On pourrait donc penser que ce texte abrogé – et de surcroît inconstitutionnel – ne pourrait naturellement plus être applicable : eh bien non. Pour le Conseil constitutionnel, il y a une norme supérieure à l’effet utile en cas d’atteinte aux dispositions de l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, lorsqu’il s’agit du respect de la vie privée : c’est la sûreté.
Ainsi peut-on lire dans la décision du 25 février 2022 que : « la remise en cause des mesures ayant été prises sur le fondement des dispositions déclarées contraires à la Constitution (protection de la vie privée en l’espèce) méconnaîtrait les objectifs de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public et de recherche des auteurs d’infractions et aurait ainsi des conséquences excessives ». C’est échec et mat pour le demandeur à la QPC. La loi est morte, mais le Conseil constitutionnel, qui constate pourtant son inconstitutionnalité, la ressuscite en quelque sorte.

La justification, dans un tel contexte, de l’application d’une norme inconstitutionnelle protégeant les libertés, par la nécessité de sauvegarder l’ordre public surprend : nous ne sommes plus ici dans le débat concernant l’état d’urgence lié à la menace terroriste ou à la menace pandémique. Nous sommes au-delà, dans ce qu’on pourrait voir comme une dérive sécuritaire. En ce sens il y aurait, au pays des droits de l’Homme, des libertés à géométrie variable sur le critère de la suspicion d’infraction, quelle que soit la gravité de cette dernière, selon nos gardiens de la Constitution. La Cour de justice de l’Union européenne dans un arrêt du 5 avril 2022 (aff. C-140/20 Commissionner of the Garda Siochàna e .a.) a répondu au Conseil constitutionnel en confirmant, sans la moindre ambiguïté, la portée de l’interdiction de stockage indifférencié des données de connexion, y compris pour lutter contre la criminalité grave. Mais elle a surtout rappelé sa jurisprudence selon laquelle « le droit de l’Union s’oppose à ce qu’une juridiction nationale limite dans le temps les effets d’une déclaration d’invalidité qui lui incombe (…) » (CJUE, 5 avr. 2022, n° 58/22, communiqué de presse) L’article soumis au Conseil constitutionnel est donc inconventionnel, sans report possible dans le temps.

Le résultat de cette QPC mériterait aussi bien le qualificatif de « victoire à la Pyrrhus » pour les défenseurs du droit au respect de la vie privée, puisqu’elle aboutit à un recul du champ d’application des libertés fondamentales (la décision semble en effet conditionner le respect de la vie privée au fait qu’une personne ne soit pas suspectée d’avoir commis une infraction) ; que pour les partisans d’un ordre public de lutte contre les infractions, car le droit de l’Union doit s’appliquer en droit interne, quoi qu’en dise le Conseil constitutionnel. Il restera alors au juge de la procédure de se prononcer – notamment au regard des principes d’équivalence et d’effectivité – sur l’admissibilité d’une preuve obtenue en violation d’un traité ratifié par la France.

Par Frédéric Peltier, avocat associé – Cabinet Peltier Juvigny Marpeau & Associés, expert du Club des juristes

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