fbpx
skip to Main Content

Liberté d’expression, par Basile Ader, avocat associé – August&Debouzy, ancien vice-bâtonnier de l’Ordre, partenaire du Club des juristes

 

De la répression de l’apologie d’acte de terrorisme

Lorsque le législateur a entendu renforcer la lutte contre le terrorisme, il a adopté le 13 novembre 2014 une loi qui a extrait de la loi sur la presse du 29 juillet 1881 le délit de provocation et d’apologie d’actes de terrorisme en le portant dans le code pénal.  Il a ainsi écarté le dispositif procédural protecteur de la loi sur la presse et aggravé les peines applicables.

Cette nouvelle incrimination a été appliquée à J.M. Rouillan, ancien activiste d’Action directe, condamné à deux reprises à des peines de réclusion à perpétuité. Moins de 4 mois après les attentats du 13 novembre 2015, au cours d’un entretien dans une émission, il déclara à propos de ces terroristes : « Moi je les ai trouvés très courageux. Ils se sont battus courageusement. Ils se battent dans les rues de Paris. Ils savent qu’il y a 2 ou 3 mille flics autour d’eux » ; et à propos des frères Kouachi, auteurs des attentats de Charlie Hebdo : « dans l’imprimerie, ils se sont battus jusqu’à leur dernière balle. On peut dire qu’on est absolument contre leurs idées réactionnairesdire que c’était idiot de faire çamais pas dire que ce sont des gamins qui sont lâches ». Il fut poursuivi par le ministère public pour apologie publique d’actes de terrorisme, au motif que présenter ces terroristes comme « courageux » parce qu’ils étaient morts les armes à la main était une façon de les valoriser, voire de justifier la violence de leurs actes.

J.M. Rouillan a saisi le Conseil constitutionnel et contesté tant la légalité du délit reproché, que la nécessité et la proportionnalité des peines encourues. Le  Conseil  a rejeté la QPC (2018-706 QPC) estimant que les dispositions du Code pénal incriminées étaient conformes à la Constitution, le champ d’application du délit étant suffisamment circonscrit, et car il était « loisible [au législateur] d’édicter des règles de nature à concilier la poursuite de l’objectif de lutte contre l’incitation et la provocation au terrorisme, qui participe de l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public et de prévention des infractions, avec l’exercice du droit de libre communication (…)».

J.M. Rouillan fut condamné par les juges du fond à 18 mois d’emprisonnement ferme dont 10 de sursis avec mise à l’épreuve et son pourvoi fut rejeté. Ayant épuisé les voies de recours internes, il porta son affaire devant la Cour EDH (CEDH, 23 juin 2022, n° 28000/19 : JCP G 2022, act. 755, obs. A. Schahmaneche). Elle constate que l’ingérence dans l’exercice de la liberté d’expression du requérant, garantie par l’article 10 de la convention était bien « prévue par la loi », laquelle était prévisible, même si récente. Elle considère que sa condamnation avait bien « un but légitime » : « la défense de l’ordre et la prévention des infractions pénales ». S’agissant de « la nécessité » de la restriction, elle constate que les propos litigieux ont été tenus « dans le cadre d’un débat d’intérêt général » (§67). Elle reconnaît, comme les juridictions internes que « même si les propos ne constituaient pas une incitation directe à la violence, ils véhiculaient une image positive des auteurs d’attentats terroristes, et ont été prononcés alors que l’émoi par les attentats meurtriers de 2015 était encore présent dans la société française, et que le niveau de la menace terroriste demeurait élevé » (§60). Elle ne dénie donc pas le caractère apologétique de ces propos justifiant une condamnation.

Elle s’érige contre la peine prononcée. Rappelant sa jurisprudence selon laquelle « le prononcé d’une condamnation pénale constitue l’une des formes les plus graves d’ingérence dans le droit à la liberté d’expression » (§74), elle condamne la France, car l’ingérence qu’a constitué l’exécution d’une peine d’emprisonnement ferme « n’était pas nécessaire dans une société démocratique ».

La sortie de l’infraction du périmètre de loi sur la presse pour en aggraver les sanctions alors qu’elle reste un « délit de presse » est ainsi indirectement mise en index par la Cour EDH. On devait sans doute condamner Rouillan pour ces propos laudateurs sur le « courage » des terroristes, mais pas à une peine d’emprisonnement ferme. Tel est l’enseignement de son arrêt. Il n’y a pas de démocratie moderne qui mette en prison des personnes uniquement à raison de ce qu’elles ont déclaré publiquement dans le cadre « d’un débat d’intérêt général ».

Par Basile Ader, avocat associé – August&Debouzy, ancien vice-bâtonnier de l’Ordre, partenaire du Club des juristes

MDS Liberté d’expression

Back To Top
×Close search
Rechercher