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Fusion

Vers la fin du décès par fusion ?

Le 5 mars 2015, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a jugé qu’une fusion par absorption entraînait nécessairement transmission à la société absorbante de la responsabilité pénale de la société absorbée (CJUE, 5e ch., 5 mars 2015, aff. C-343/13, Modelo Continente Hipermercados SA c/ Autoridade para as Condições de Trabalho). Selon les juges de Luxembourg, une société absorbante peut donc, postérieurement à la réalisation de la fusion, être condamnée à une peine d’amende pour des infractions commises par la société absorbée. Cette décision serait justifiée tant par les dispositions que par la finalité de la directive fusion du 9 octobre 1978 applicable au moment des faits – la solution étant transposable sous l’égide de la directive fusion 2011/35 actuellement en vigueur.

Justifiée par les dispositions de la directive car l’extinction de la responsabilité pénale du fait de la fusion serait contraire à la nature même de cette dernière. La directive prévoit en effet que la fusion consiste en un transfert de l’ensemble du patrimoine de la société absorbée à la société absorbante par suite d’une dissolution sans liquidation. Justifiée également par la finalité de la directive car celle-ci tend à protéger les intérêts des associés, des créanciers et des tiers, qui ne sauraient être floués par la dissolution de la société absorbée à la suite d’une fusion.

Cette décision de la CJUE n’est pas conciliable avec notre droit pénal en l’état. En France, s’il est vrai, pour reprendre l’aphorisme célèbre, qu’on « ne déjeune pas avec une personne morale », la jurisprudence en matière pénale avait admis que le principe de personnalité des délits et des peines devait lui bénéficier, assimilant de fait la dissolution d’une société au décès d’une personne physique. Deux conséquences en ont été tirées : l’extinction de l’action publique doit être constatée en cas de perte d’existence juridique de la société absorbée visée (Cass. crim., 9 sept. 2009, n° 08-87.312 : JurisData n° 2009-049715), et la responsabilité pénale de la société absorbée ne saurait être imputée à la société absorbante (Cass. crim., 14 oct. 2003, n° 02-86.376 : JurisData n° 2003-020659 ; – Cass. crim., 20 juin 2000, n° 99-86.742 : JurisData n° 2000-002990). Dans l’arrêt du 20 juin 2000, la solution de la cour d’appel censurée par la Cour de cassation reposait déjà sur un motif semblable à celui invoqué par la CJUE : la transmission universelle des droits et obligations.

Certes l’application du principe de personnalité des délits et des peines a connu des tempéraments en matière de sanction administrative (CE, 30 mai 2007, n° 293423 : JurisData n° 2007-071941) et de droit de la concurrence (Cass. com., 20 nov. 2001, nos 99-16.776 et 99-18.253 : JurisData n° 2001-011780). Mais la finalité régulatrice des sanctions administratives, purement patrimoniales, pouvait justifier alors le recours à la notion de continuité économique de l’entreprise. Pour éviter la fraude, la jurisprudence réserve en outre le cas dans lequel la dissolution serait intervenue dans l’unique but d’échapper à toute poursuite (Cass. com., 15 juin 1999, n° 97-16.439 : JurisData n° 1999-002489, à propos d’une sanction prononcée par la COB).

Cette position des juridictions françaises est confortée par la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, la présomption d’innocence consacrée par l’article 6, § 2 de la Convention impliquant qu’une personne physique présumée innocente au jour de son décès ne puisse pas transmettre à ses héritiers une responsabilité pénale qui n’aurait pas été constatée (CEDH, 29 août 1997, n° 71-1996-690-882, A.P., M.P. et T.P. c/ Suisse : JurisData n° 1997-280116).

De façon fort discutable, la solution posée par la CJUE assimile les intérêts de l’État initiateur de l’action publique à ceux d’un créancier dont les intérêts financiers seraient mis à mal par la fusion absorption. Reste à savoir quelle attitude adopteront les juridictions françaises, sachant que le principe de personnalité des poursuites et des peines a valeur constitutionnelle (Cons. const., 16 juin 1999, n° 99-411 DC : JurisData n° 1999-765189).

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Arthur Dethomas

Arthur Dethomas

Avocat à la Cour, Hogan Lovells
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