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Favoritisme

Un délit à repenser

Par construction, le délit de favoritisme est le fruit des amours contrariés du droit public et du droit pénal, puisqu’il vise à faire sanctionner par le juge pénal le fait de procurer à autrui « un avantage injustifié par un acte contraire aux dispositions législatives ou réglementaires ayant pour objet de garantir la liberté d’accès et l’égalité des candidats dans les marchés publics et les délégations de service public ». Alors que l’appréciation de la validité des marchés publics reste de la compétence du juge administratif, qui en est le juge naturel, le juge pénal doit ainsi, pour statuer, se plonger au préalable dans ces procédures complexes de droit public, qu’il ne connaît pas ou très mal.

C’est probablement pour cette raison que le délit n’a cessé de nourrir depuis sa création le 3 janvier 1991, et tout particulièrement ces dernières années, une jurisprudence erratique dont l’imprévisibilité rivalise avec les atteintes portées aux principes les plus fondamentaux de notre droit pénal.

L’arrêt du 17 février 2016 en est une nouvelle illustration. La chambre criminelle vient en effet de juger, pour la première fois, que ce délit applicable aux marchés publics et aux délégations de service public s’appliquait également à d’autres marchés, en l’occurrence ceux régis par l’ordonnance du 6 juin 2005, relatifs à certaines personnes publiques ou privées non soumises au code des marchés publics. Bien que la chambre criminelle justifie l’extension du champ d’incrimination en réinterprétant le délit à l’aune des « principes à valeur constitutionnelle que sont la liberté d’accès à la commande publique, l’égalité de traitement des candidats et la transparence des procédures », il n’en reste pas moins que le principe d’interprétation stricte des textes pénaux est ici méconnu, lequel est également un principe à valeur constitutionnelle.

Cette décision ne saurait cependant étonner au regard d’autres interprétations peu orthodoxes de la chambre criminelle en matière de délit de favoritisme. D’une part, elle a en effet retenu que l’élément matériel de l’infraction pouvait résulter de la simple méconnaissance des règles de procédure en matière de passation de marchés publics, sans que soit établi concomitamment l’octroi d’un avantage injustifié, comme si celui-ci en résultait mécaniquement. D’autre part, elle a fait de ce délit un quasi délit matériel, en posant notamment une présomption de connaissance des dispositions applicables aux marchés publics, de telle sorte que l’élément intentionnel est en pratique caractérisé du seul fait que l’auteur a accompli l’acte constituant l’élément matériel.

De telles interprétations méritaient certainement la saisine du Conseil constitutionnel, mais la chambre criminelle a toujours refusé de transmettre les questions prioritaires de constitutionnalité dont elle a été saisie tant sur l’élément matériel que sur l’élément intentionnel du délit (Crim 30 novembre 2011 ; Crim 23 juillet 2014), craignant peut-être que ses interprétations extensives du délit ne soient censurées.

C’est donc au Législateur qu’il appartient de réagir en procédant rapidement à une réécriture du texte d’incrimination, afin d’en réduire significativement les zones d’incertitude et de permettre une répression respectueuse des principes fondamentaux régissant la matière pénale. Car en l’état, la jurisprudence de la chambre criminelle aboutit à faire du délit de favoritisme moins un outil de sanction individuelle qu’un instrument de régulation de la commande publique.

C’est peut-être d’ailleurs de ce constat que pourrait s’inspirer une évolution plus globale du mécanisme de sanction de la méconnaissance des procédures de marchés publics. On pourrait en effet s’inspirer de la dualité de répression des abus de marchés pour imaginer que les manquements formels soient jugés, comme le fait l’AMF, au sein d’une autorité publique indépendante composée de professionnels et de spécialistes de ces procédures de marchés publics, sans qu’il y ait alors lieu à rechercher un quelconque élément intentionnel. Parallèlement pourrait subsister une infraction de favoritisme, toujours du ressort du juge pénal, laquelle aurait vocation à être mise en œuvre quand un acte délibéré peut être identifié, et que la morale publique est en cause.

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Bruno Quentin

Bruno Quentin

Avocat à la Cour, Gide Loyrette Nouel
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