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Favoritisme

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Délit de favoritisme: constitutionnel ?

Si l’article 34 de la Constitution de 1958 prévoit que la définition et la sanction des délits relève de la compétence du législateur alors que celles des contraventions relève du pouvoir réglementaire, la chambre criminelle de la Cour de cassation a, depuis longtemps, écarté les critiques à l’encontre des délits définis – pour partie – par renvoi à des dispositions réglementaires. Le Conseil constitutionnel a lui-même considéré qu’il n’y avait pas là atteinte au principe de légalité des délits et des peines.

Dans le droit fil de cette interprétation, le délit de favoritisme, qui réprime le fait de « procurer à autrui un avantage injustifié par un acte contraire à des dispositions législatives ou réglementaires (…) dans les marchés publics (…) », a échappé à la critique, alors même que la plupart des poursuites relatives à cette infraction reposent sur la méconnaissance de dispositions réglementaires. Toutefois, la question de la conformité à la Constitution du délit de favoritisme sous ce prisme a connu une actualité nouvelle à la suite d’une décision du Conseil constitutionnel du 8 décembre 2016 (n°2016-741 DC), qui a jugé qu’« en édictant des délits réprimant la méconnaissance d’obligations dont le contenu n’est pas défini par la loi (…) le législateur a méconnu le principe de légalité des délits et des peines ». Cette sanction de l’incompétence négative du législateur a été réaffirmée quelques semaines plus tard, le 24 janvier 2017 (2016-608 QPC), le Conseil soulignant dans le commentaire de cette décision que « ce n’est qu’en matière répressive autre que pénale que le Conseil admet explicitement qu’il puisse être renvoyé, pour définir un manquement, à des dispositions non législatives ».

Nonobstant cette évolution substantielle de la jurisprudence constitutionnelle, la chambre criminelle, qui a elle-même été récemment saisie d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) sur le favoritisme par la cour d’appel de Paris, vient de refuser, au titre de l’exercice de son filtre, de la transmettre au Conseil constitutionnel (13 mai 2020, n°20-90.001) dans la continuité d’une décision du 18 décembre 2019 (n°19-81.724).
Sans préjuger de ce qu’il serait advenu d’une saisine du Conseil, il est difficile de considérer que « la question ne présente pas un caractère sérieux ». Cette surprenante motivation suggère au moins deux interprétations possibles.

La première pourrait traduire une réserve persistante de la Cour de cassation à l’égard de la QPC : on se souviendra qu’à la différence du Conseil d’État, elle a fait preuve d’une certaine frilosité lorsque ce nouvel instrumentum est entré en vigueur en 2010, préférant bien souvent faire évoluer progressivement sa propre jurisprudence plutôt que d’adopter une politique ouverte de transmission ; mais cette lecture ne saurait ici être retenue. Les hasards du calendrier montrent que, le jour où elle a statué sur la QPC relative au favoritisme, la chambre criminelle a transmis au Conseil constitutionnel trois autres QPC sur une thématique très proche, relative à la conformité à la Constitution du délit afférent à la méconnaissance répétée de l’obligation de confinement pendant la crise sanitaire (n°20-90.003, 20-90.004, 20-90.006).
Dès lors, c’est probablement davantage dans la nature même du favoritisme qu’il convient de rechercher l’origine de ce blocage, la Chambre criminelle ayant en effet toujours refusé de transmettre les QPC portant sur ce délit. S’il advenait que ce délit soit jugé non-conforme à la Constitution lorsque les poursuites reposent sur la méconnaissance de dispositions réglementaires, ce serait en effet la quasi-totalité des procédures en cours qui seraient impactées, compte tenu du caractère réglementaire du Code des marchés publics.

Mais en réalité, cette difficulté d’ordre constitutionnel n’est que le paravent d’une fragilité congénitale du favoritisme, utilisé pour appréhender des faits de nature très différente alors que devrait être instauré un cadre juridique distinct entre des poursuites administratives pour les manquements formels et non-intentionnels, et des poursuites pénales réservées aux méconnaissances délibérées impliquant la recherche d’un intérêt personnel chez son auteur.
La Cour de cassation n’ayant pas saisi l’opportunité de purger la question de la constitutionnalité du favoritisme, il appartient désormais au législateur de s’en emparer en redéfinissant sa raison d’être.

Par Bruno Quentin, avocat associé du cabinet Gide, expert du Club des Juristes.

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Bruno Quentin

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Avocat à la Cour, Gide Loyrette Nouel
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