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 Droit à l’oubli

Européen sans être mondial, il s’applique aux données sensibles

Deux arrêts rendus le 24 septembre par la Cour de justice de l’Union européenne sur renvois préjudiciels du Conseil d’État ont apporté d’importantes précisions sur la portée du droit au déréférencement (ou “droit à l’oubli”) créé par l’arrêt Costeja du 13 mai 2014 (C-131/12) en vertu duquel un moteur de recherche est tenu de supprimer de la liste des résultats affichés à la suite d’une recherche nominative les liens vers les pages web contenant des informations relatives à la personne dont le nom était recherché sauf si, au regard du “rôle joué par ladite personne dans la vie publique”, l’intérêt du public à l’information l’emporte sur le droit au déréférencement.

Le premier arrêt (C-507/17) tranche la question de savoir quelle doit être la portée territoriale  de ce droit. Faut-il l’appliquer mondialement à toutes les extensions du moteur de recherche, y compris au “.com”, ou seulement aux extensions de nom de domaine des États membres de l’Union ? À cette question la Cour répond que si le législateur européen a entendu mettre en balance, pour l’Europe, droit au respect de la vie privée et intérêt du public à accéder à l’information, il ne s’est pas livré à cette pesée pour le reste du monde, où les conceptions peuvent varier considérablement d’un pays à l’autre. Il en découle que le droit de l’Union n’impose d’appliquer le droit à l’oubli qu’au niveau européen, c’est-à-dire sur les extensions de nom de domaine des États membres, obligation assortie de celle d’empêcher ou, à tout le moins, de rendre difficile l’accès depuis le territoire de l’Union aux liens en cause via une version non européenne du moteur de recherche. La Cour précise toutefois que si le droit de l’Union n’impose pas un déréférencement mondial, il ne l’interdit pas non plus, et laisse ainsi aux autorités nationales le soin, le cas échéant, de l’imposer si elles le souhaitent.

Le second arrêt (C-136/17) répond à la délicate question de savoir comment appliquer le droit au déréférencement lorsque sont en cause des données dites “sensibles” relatives à l’origine raciale ou ethnique, aux opinions politiques ainsi qu’aux convictions religieuses ou philosophiques. La Cour rappelle tout d’abord que le traitement de ce type de données est en principe interdit, sauf exceptions, lesquelles ne couvrent pas l’activité des moteurs de recherche. Il en découle qu’un moteur de recherche est “en principe” tenu de déréférencer les liens menant vers des pages web sur lesquelles figurent des données sensibles. La Cour poursuit toutefois en rappelant que le RGPD prévoit expressément que le droit au respect de la vie privée doit être mis en balance avec la liberté d’information. Elle en conclut que, lorsqu’un moteur de recherche est saisi d’une demande de déréférencement d’un lien conduisant à une page web sur laquelle des données sensibles sont publiées, il doit vérifier, au regard de l’ensemble des circonstances de l’affaire et compte tenu de la gravité de l’atteinte aux droits de la personne concernée, si l’affichage de ce lien est strictement nécessaire au regard de la liberté d’information des internautes. Sans exclure donc par principe l’affichage d’un tel lien, la Cour le soumet à des conditions très strictes. Elle distingue enfin deux cas particuliers. Dans celui où sont en cause des données manifestement rendues publiques par la personne concernée, le moteur de recherche peut, lorsque les autres conditions prévues par le RGPD sont respectées, refuser le déréférencement. Enfin, dans le cas particulier des données relatives à une procédure pénale, la Cour se montre particulièrement exigeante et juge que le moteur de recherche doit, si le droit au respect de la vie privée de la personne concernée l’emporte sur l’intérêt du public à être informé, déréférencer les liens menant à des pages web sur lesquelles figurent des informations anciennes qui ne correspondraient plus à l’état actuel de la procédure. Allant plus loin encore, la Cour juge que, même lorsqu’il n’y a pas lieu à déréférencement, le moteur de recherche doit en tout état de cause faire figurer en tête de la liste de résultats, le lien conduisant à la page sur laquelle figure la situation judiciaire actuelle. Loin du droit à l’oubli, la Cour se prononce là sur la question de la mise en avant de contenus par l’algorithme. Voilà assurément des exigences nouvelles au fonctionnement des moteurs de recherche.

Par Francis Donnat, Conseiller d’État, Secrétaire Général de France Télévisions, Expert du Club des juristes, auteur du Droit européen de l’internet (LGDJ, 2018).

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